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Au cœur d’un bonheur partagé !

Edition N° 24 – 25 juin 2025

Ghislaine Bueche : « Même si vous accueillez seulement deux personnes, elles vous apporteront du bonheur. » (photo pad)

Ghislaine Bueche est une bonne cuisinière. Point besoin de goûter ces petits plats pour comprendre : cela se voit dans ses yeux. Notre bonne dame est non seulement accueillante, elle fait aussi preuve d’une grande humilité – la première des vertus, sur laquelle se basent toutes les autres.

Ghislaine est l’aînée de douze enfants, chose inimaginable de nos jours, mais pas si rare à l’époque de sa jeunesse. Elle est elle-même maman de trois enfants, et bien sûr grand-maman. Sa mère lui apprend à cuisinier très tôt ; et l’aînée passera des années à lui prêter main forte dans diverses tâches domestiques, soutien sans lequel ses parents n’auraient pas réussi à s’en sortir. A la fin de la période de scolarité obligatoire, la jeune fille ira travailler en usine. « On ne m’a pas demandé ce que je voulais faire dans la vie ; on m’a envoyée chez Astra comme ouvrière, une usine horlogère de la région. » Elle y sera active jusqu’à son mariage, à 21 ans. Puis viendront ses trois enfants. Lorsque l’aîné des trois atteint l’âge de 14 ans, elle décide de retourner à l’usine mais, plus tard, elle suivra un cours de cafetiers, ce qui lui permettra d’être active dans plusieurs restaurants et autres cafés de la région. Ghislaine est à n’en pas douter une travailleuse, courageuse par-dessus le marché ; elle a travaillé toute sa vie, aussi dans une chaîne de grands magasins, tout en élevant ses enfants dans un esprit familial de rectitude.

Avec le soutien de son mari

Le jour où son mari Roland tombe malade, au point de se voir en incapacité de marcher, les choses se compliquent. Leurs enfants avaient quitté le toit familial, et la charge devient de plus en plus lourde pour Ghislaine – malgré son infaillible engagement auprès de son époux et un soutien régulier à domicile. « L’assurance maladie ne prenait en charge qu’une partie de ce soutien, refusant de financer tout ce qui dépasserait la demi-heure de soins. Mais lui nécessitait davantage de temps. C’est pourquoi j’ai fait appel à Pro Senectute et l’assurance a été obligée de payer. »  

Lors de la visite d’une conseillère de l’organisation, celle-ci lui intime de placer Roland dans un EMS. « J’ai compris qu’elle avait raison. Mais soudain, je me suis retrouvée toute seule, et quasiment inactive. Je n’y étais pas habituée. Mais j’ai dû admettre que je ne pouvais faire autrement si je voulais garantir le bien-être de mon mari, et aussi le mien. » C’est là que jaillit l’idée de proposer des tables d’hôtes à domicile, non sans remords. « Je me suis sentie coupable », avoue Ghislaine. « Je ne m’occupais plus de Roland, et… j’allais m’occuper d’inconnus ? Alors je me suis rendue à l’EMS, et je lui annoncé mon projet. A mon grand soulagement, il a réagi positivement. Il m’a dit : « Des tables d’hôtes ? Mais c’est formidable ! Voilà quelque chose pour toi, vas-y, lance-toi ! » 

C’est ainsi que Ghislaine démarre par des tablées de quatre personnes, mais assez vite, d’autres seniors s’ajouteront, se présentant au nombre de huit, puis de dix, de douze personnes, et même jusqu’au nombre de quatorze (son record se situant à seize seniors). Au-delà, la chose deviendrait impossible – surtout pour une question de manque de place. Bien sûr, deux ou trois bénévoles viennent prêter main forte deux fois par mois, dont souvent ses petites-filles, très tôt engagées dans l’aventure – et ce d’autant plus que les entrées, les plats puis les desserts, sont entièrement faits maison. Pro Senectute fixe le prix du repas à Fr. 17.-, vin non compris. Mais les hôtes, en guise de gratitude, font preuve de générosité.

Des purs moments de bonheur

Pro Senectute s’efforce d’organiser des tables d’hôtes dans tout l’Arc jurassien (cantons de Neuchâtel, Jura et Jura bernois). Mais depuis quelques mois, le recrutement de nouveaux bénévoles pour le Jura bernois est devenu particulièrement difficile. A quoi cela tient-il ? Difficile à expliquer. Pour Ghislaine Bueche, cela tient tout simplement, ici comme ailleurs, à un recul général du phénomène du bénévolat. « Assurer une table d’hôtes, ça représente beaucoup de travail », assure-t-elle. « Mais cela apporte un tel sentiment de bonheur ! Ces tables sont devenues pour moi une ressource, et sans elles… (silence) Ce que je voudrais que les gens comprennent, c’est que, même si vous accueillez seulement deux personnes, elles vous apporteront du bonheur. Et au vu de la solitude dont souffrent de nos jours les personnes âgées, elles se sentiront heureuses aussi. C’est un bonheur partagé en famille. Leur bonheur est le mien. »

Notre hôte explique que les visiteurs prennent place à table là où elles en ont envie. Mais il y faut un esprit d’ouverture, puisque le but est aussi l’échange, même si l’on ne connaît pas son voisin de table. « Nous sommes là pour passer un bon moment, des moments de paix, de compagnie et de quiétude, alors on laisse les sujets politiques et d’éventuels ragots à la porte. Une fois le repas terminé, ceux qui en ont envie se mettent à jouer aux cartes ou à d’autres jeux. D’autres préfèrent bavarder ensemble, et la rencontre se termine en fin d’après-midi. » L’appel est donc lancé. Oui, dressez une table… vous ne le regretterez pas.   Pablo Davila

Ghislaine Bueche : « Même si vous accueillez seulement deux personnes, elles vous apporteront du bonheur. » (photo pad)