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Edition N° 13 – 4 avril 2024

Joueur de hockey talentueux reconverti dans l’arbitrage en raison d’une méchante blessure au genou, Julien Staudenmann, qui a grandi à Péry, nous a reçu à son domicile de Grandcour (VD) pour évoquer les faits marquants de sa longue carrière sans jamais pratiquer la langue de bois. (photo Mauricette Schnider)

– Quel âge aviez-vous quand vous avez commencé à patiner ?

J’ai commencé sur la glace quand j’avais environ cinq ans. Je suis né à Bienne, mais j’ai grandi dans le village de Péry, devenu plus tard Péry-La Heutte. C’est une région imprégnée par le hockey sur glace. C’étaient les années 1980. À cette époque, il n’y avait pas toutes les activités pour les jeunes qu’il y a maintenant ; en hiver, on faisait du hockey, en été du foot. Et c’était tout. J’avais quelques copains qui faisaient de la gym aussi… Je suis issu d’une famille de sportifs, avec un grand-père qui était un excellent gardien de hockey de première ligue au HC Reuchenette, la patinoire naturelle du village. Mon père a aussi joué du hockey. Mais il n’est pas devenu professionnel parce qu’il a dû soutenir l’entreprise familiale lorsque mon grand-père est tombé malade.

– Vous êtes très vite devenu professionnel, c’est-à-dire à l’adolescence, non ?

Pas si vite que ça, en fait. Il y a vingt ans, vous aviez les jeunes qui partaient tout de suite sur la glace et perçaient à 15 ou 16 ans. Et il y avait les autres, comme moi. Avant de me lancer, j’ai d’abord fait un apprentissage de monteur électricien. Comme j’étais un mordu de hockey, mes parents ont dû mettre une pression énorme sur moi pour que je termine la formation. Ils estimaient qu’un CFC est un « parachute » dans la vie…, et ils avaient raison. Si je présentais des bonnes notes, on m’autorisait à aller sur la glace ; sinon, mon père m’enlevait la crosse. (Il sourit.) En 2002, à 21 ans, j’ai décroché le CFC. J’ai joué au HC Ajoie pendant trois ans, puis six ans au Lausanne Hockey Club, qui à l’époque était le top du top de la ligue B (la Swiss League actuelle). A Lausanne, j’ai vécu la plus belle expérience de ma carrière. Mais en janvier 2013, j’ai eu un accident avec une méchante blessure au genou. J’avais alors 31 ans, et j’habitais avec ma femme et mes deux premiers enfants à Cossonay (VD). Mon contrat avec l’ambitieux HCC n’a pas été renouvelé, bien sûr. Et de mon côté je n’ai pas cherché ailleurs. Je ne voulais pas déraciner ma famille.

– Je suppose qu’à ce moment-là, tout s’effondre pour vous…

En ce qui concerne le hockey sur glace, oui. C’était un tremblement de terre. L’arrêt involontaire d’une carrière est quelque chose qui vous marque au fer rouge. Mais que ce soit en tant que joueur, puis plus tard comme arbitre, j’ai toujours eu un emploi en parallèle. Ceci vient de l’éducation que j’ai reçue, de mes racines. J’ai toujours travaillé, d’abord pour mettre du beurre dans les épinards, ensuite pour me protéger d’un quelconque mauvais coup de la vie. De travailler me permet de prendre une distance salutaire avec le monde du hockey, de sortir de cette bulle ardente, de ne pas me monter la tête et de garder les pieds sur terre. Aujourd’hui, à côté de mon activité d’arbitre – qui représente 2,5 jours par semaine – j’ai une excellente place de travail chez Valser Service AG comme responsable des ventes pour la Suisse romande.

– En 2013, votre carrière de hockeyeur s’arrête donc brutalement. C’est là où vous troquez la crosse pour le sifflet. Racontez-nous ça.

Un soir, en discutant avec l’un de mes cousins, Alain Reist, qui a aussi fait une carrière dans le hockey, nous en sommes venus à aborder le sujet de l’arbitrage. Il m’a dit qu’il y avait un arbitre-formateur qui cherchait d’anciens joueurs de ligue nationale, pour augmenter le nombre d’arbitres. Et avec Alain, dès que mon genou a guéri, on s’est lancés. La formation d’un arbitre commence en plein été. On s’est inscrits au cours, qui comporte aussi des tests physiques. J’ai commencé à arbitrer mes premiers matchs avec des petits de 10 ans. Je me souviens que lors de mon premier match avec les bouts de chou, je tremblais comme une feuille. Je ne savais pas où me placer, où aller, j’étais perdu. Le public, qui me connaissait, hurlait : « T’es nul, Staudenmann ! » C’était pour plaisanter bien sûr. Mais à partir de là, j’ai appliqué mon expérience de joueur. C’est en 2016 que j’ai arbitré mon premier match en ligue A, devenue aujourd’hui la National League.

– Quelle est la vertu principale dont doit faire preuve un arbitre de hockey ?

Une très bonne communication interpersonnelle. La société a changé à tout niveau. De nos jours, c’est la communication qui fait foi, avant le coup de sifflet. Sur la glace, ça bataille fort, parfois ça dérape. C’est une arène de combat, oui. Mais la plupart du temps, quelques mots clairs et bien placés suffisent pour calmer le jeu. Je ne lève pas la main tout de suite pour signaler une faute. Et quand je pose le puck, c’est comme ça : je fixe les limites.

– Vous avez été joueur, et pas des moindres. Ressentez-vous une quelconque frustration en étant arbitre ? On n’applaudit pas un arbitre. Pour vous, jamais d’ovation, et pas davantage de gloire. Comment vivez-vous ça ?

-Le hockey sur glace, c’est mon école de vie. J’ai appris trois langues grâce au hockey. Et aussi la camaraderie. Le sacrifice. J’ai appris à travailler. Et cette école de vie m’a aussi apporté beaucoup de frustrations, beaucoup de défaites, et aussi un bonheur incroyable. Quand je marquais un goal à Lausanne, ça explosait. Des milliers de spectateurs hurlaient leur joie, et pendant quelques secondes, ça vous fait décoller. Au jour d’aujourd’hui, je veux redonner ce que le hockey sur glace m’a donné. Et je le fais en essayant d’être un bon arbitre. Il est vrai que la jouissance du goal, ou de la victoire, sont inexprimables. Mais une phrase de mon père me revient souvent. Il m’a toujours dit : « S’il n’y a pas d’arbitre, il n’y a pas de match. Et si durant un match on n’a pas vu l’arbitre, ça veut dire qu’il a été bon. » Et ceci suffit à mon bonheur.

Propos recueillis
par Pablo Davila

Joueur de hockey talentueux reconverti dans l’arbitrage en raison d’une méchante blessure au genou, Julien Staudenmann, qui a grandi à Péry, nous a reçu à son domicile de Grandcour (VD) pour évoquer les faits marquants de sa longue carrière sans jamais pratiquer la langue de bois. (photo Mauricette Schnider)