Actualités, Portraits

Au revoir Samin

Edition N°18 – 12 mai 2021

La gestion d’une école sous-entend d’aborder toutes sortes de thématiques intéressantes et variées, répétitives ou enrichissantes, mais jamais ennuyantes. La pédagogie mille fois revisitée verse aussi son flux et son reflux de circonstances diverses. Entre cahiers et manuels, entre devoirs et tests, entre leçons et récréations, on y découvre surtout des êtres humains, jeunes et prêts à grandir, voulant parfois brûler les étapes, mais dont celles de leurs vies dévoilent des trésors cachés et des blessures profondes. Samin représente l’une de ces vies meurtries.

Lorsque le destin d’une demoiselle au parcours de vie difficile semble basculer, notre temps s’arrête et notre énergie se mobilise : enseignants, direction et autorités communales associent leurs forces pour tenter de s’opposer à un au revoir dont les règles nous échappent. Les heures suspendent leur vol et nos esprits se concentrent à protéger de leurs ailes ce qui semble déjà inéluctable… Le témoignage de ses enseignantes de l’école secondaire permet de mieux saisir cette situation : « Après ton départ inattendu et non-souhaité, nous aimerions t’adresser ces quelques lignes. Nous t’avons vue arriver au sein de la classe de soutien avec une attitude des plus exemplaires : tête baissée, le « oui, Madame » prêt à sortir à la moindre question, un comportement irréprochable. Très rapidement, nous avons compris que cette attitude était le reflet d’un passé lourd et de souvenirs chargés liés à ton pays de naissance, l’Iran. Tu n’as que 13 ans et pourtant, ton parcours de vie t’a déjà amenée à gérer de nombreux combats, bien plus que la majorité d’entre nous. Partie d’Iran avec ton papa, tu as découvert les camps de réfugiés en Grèce pour rejoindre ta maman et ta sœur, déjà arrivées en Suisse. Après avoir appris les bases du turc, du grec, tu découvres le français et ses nombreuses exceptions. On aura mis le temps nécessaire mais ô combien salvateur de te montrer, de te prouver que l’enseignant ne te frappera jamais, que ce dernier est là pour te considérer à ta juste valeur ! Malheureusement, sous la pression de la Croix-Rouge, au moment où tu es parvenue à intégrer cet aspect, tu nous as été retirée et ce, malgré le soutien de nos autorités communales et scolaires. Nous n’avons pas pu poursuivre, consolider ce lien qui doit unir un élève à son enseignant. Tu as quitté notre classe !

Paradoxe des méandres du système d’asile, tu te retrouves à 30 km de la nôtre, dans une classe de soutien comme la nôtre, à devoir recommencer une nouvelle intégration, à tisser de nouveaux liens de confiance, à attendre que ta demande d’asile soit réexaminée. Ne nous demande pas de te l’expliquer, nous n’y voyons aucune logique… Nous sommes malgré tout heureuses d’avoir eu la chance de rencontrer cette jeune fille de 13 ans, capable d’ouverture aux cultures de tous les pays qu’elle a traversés, apte à intégrer toutes les notions que nous avons pour devoir de lui transmettre, demandeuse de savoirs supplémentaires pour atteindre ces buts. Frustrées de ne pas avoir pu poursuivre ce chemin de vie avec toi, aujourd’hui ce qui nous importe le plus, c’est que tu puisses continuer de vivre en Suisse où tes droits seront respectés. »

Apprendre, c’est devenir libre !

Samin n’est pas la première et ne sera pas la dernière à vivre ce genre de parcours chaotique. Des millions d’êtres humains de par le monde le vivent en ce moment. Néanmoins, cette courte aventure vécue aux côtés de Samin nous invite tous à la réflexion. Nous formulons nos vœux pour que son avenir, celui de sa sœur Selin, qui était élève de l’école primaire de Valbirse, et de sa maman, leur permettent de continuer une scolarisation dans notre pays. Samin, nous t’encourageons à garder cette motivation à apprendre, car apprendre c’est devenir libre ! Jacques Prévert disait du bonheur qu’« il m’a adressé ses meilleurs vœux sur mon destin qui s’en vient, et je crois en lui bien plus que tous les devins, il a besoin d’air, de lumière, de liberté et d’une terre d’asile. »

M. Leonardi, Directeur de l’école secondaire de Malleray avec le soutien des enseignants et la direction de l’école primaire de Valbirse.