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« Jeûner n’est pas juste une petite diète ! »

Edition N° 8 – 5 mars 2025

Christophe Salgat : « Jeûner n’est pas juste une petite diète pour faire du bien à notre santé. Il s’agit de se priver pour se recentrer sur l’essentiel, en vue du spirituel. » (photo pad)

– Christophe, d’où vient le mot «carême»?
– Il vient du latin, «quadragesima», une expression qui fait mention du chiffre 40. Il s’agit des quarante jours avant Pâques, en référence aux quarante jours que Jésus a passés dans le désert à jeûner, et où il a affronté et vaincu les tentations du diable. Le carême est un temps qui nous est donné pour nous préparer à cette fête. Un temps privilégié pour préparer nos vies, notre intelligence et notre cœur à vivre la fête de Pâques.

– Quand le carême a-t-il été institué?
Au tout début du christianisme, à l’attention de ceux qui allaient être baptisés. A l’époque on baptisait surtout des adultes, qui se préparaient durant cette période de catéchèse intense à faire partie de l’Eglise instituée par Jésus. Il s’agissait de les aider à se tourner vers Dieu. Puis on s’est rendu compte que, si c’était bon pour eux, c’était tout aussi bon pour toutes celles et ceux qui étaient déjà devenus chrétiens.

– Quel est le symbolisme du mercredi des Cendres?
Si notre âme est immortelle, il n’en va pas ainsi de notre corps. Le symbole sert à rappeler qu’un jour, notre corps physique finira par s’éteindre, par se désagréger et devenir des cendres. Nous sommes marqués sur le front avec de la cendre et cette phrase est prononcée: «Convertis-toi et crois à l’Evangile». En latin, «convertere» indique un changement de direction, retrouver à nouveau le sens afin de ne pas dériver. On peut faire un parallèle avec le Jubilé qui a lieu cette année au sein de l’Eglise catholique, et dont l’origine remonte au peuple juif. Il a lieu tous les vingt-cinq ans. Chez les Juifs, il avait lieu tous les cinquante ans. Il s’agit d’une remise à zéro des dettes, une redistribution des biens. Il y a un peu de cela aussi durant le carême: on remet les choses à plat, le compteur à zéro, afin d’être bien en phase avec le Seigneur. 

– Un élément important du carême est le jeûne et l’abstinence. En quoi consistent-ils?
– Jeûner n’est pas juste une petite diète pour faire du bien à notre santé. Il s’agit de se priver pour se recentrer sur l’essentiel, en vue du spirituel. Dans ce sens, le jeûne nous ouvre implicitement sur le partage. D’où toutes les actions chrétiennes entreprises durant ce temps pour soutenir son prochain, notamment les projets de l’Action de carême ou Pain pour le prochain. Se priver, en un mot, c’est renoncer à certaines choses pour pouvoir partager avec ceux qui ont moins que nous. Mais on peut aussi soutenir notre prochain en lui offrant notre temps, notre présence, surtout aux personnes esseulées, malades ou âgées. 

– L’ironie c’est que, même pour beaucoup de gens qui se disent chrétiens, le temps du carême est souvent celui d’une surconsommation de chocolat. Où est l’abstinence là-dedans?
– On peut jeûner de chocolat. Mais on peut aussi jeûner de télévision, de réseaux sociaux, d’internet, d’achats compulsifs en ligne, d’alcool et de viande, de gros mots, de bavardages inutiles, de sorties en société. On peut jeûner de plein de choses. Cela dit, le jeûne sous la forme de nourriture n’est pas prévu pour les enfants, ni pour les plus de 60 ans.

– A cet égard, l’Eglise catholique fixe deux jours très importants, même pour ces derniers: le mercredi des Cendres et le Vendredi saint. Expliquez-nous ça…
– Ce sont là deux jours durant lesquels on nous demande de faire un jeûne plus marqué, en commençant par l’abstinence de viande rouge ou blanche. Certains (en bonne santé) vont jusqu’à ne rien manger du tout ces deux jours-là, ne buvant que de l’eau. Mais durant les quarante jours, on nous laisse toute liberté de choisir les domaines où l’on pratiquera le jeûne.

– Un autre aspect du carême est celui de la «pénitence», un terme qui fait frémir notre société moderne…
– La pénitence, ce n’est pas être chargé d’un poids, mais se convertir. En cela, la lecture des Evangiles est précieuse. Faire pénitence, c’est reconnaître devant Dieu que nous avons besoin de son amour et que nous avons besoin d’être sauvés. Mais dans notre société, on n’a plus cette impression : on croit que l’on ne doit rien à personne, que nos seules forces suffisent. En vérité, nous ne nous sommes pas faits tout seuls. Nous sommes invités à reconnaître qu’on doit notre vie même à Dieu. Le reconnaître comme notre créateur, c’est admettre que notre souffle de vie vient de lui. Faire pénitence, c’est se tourner vers Dieu en sachant que l’on n’a pas tout fait juste. Si lui nous donne un immense amour, reconnaissons que nous n’avons pas toujours été au rendez-vous de cet amour.

– C’est pourquoi le temps de carême est un temps de prière plus intense?
– Oui, parce que la prière est une nourriture. Dans le «Notre Père», la prière que Jésus a enseignée aux apôtres, il est bien dit: «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». Le pain ici n’est pas seulement une nourriture physique, mais aussi spirituelle. Autant on jeûne de plein de choses qui concernent notre corps et notre intellect, autant nous sommes invités durant le carême à consacrer plus de temps au Seigneur pour nourrir notre âme.

Propos recueillis par Pablo Davila

Christophe Salgat : « Jeûner n’est pas juste une petite diète pour faire du bien à notre santé. Il s’agit de se priver pour se recentrer sur l’essentiel, en vue du spirituel. » (photo pad)