L’Ours à Moutier était un vrai lieu de rencontre festif et incontournable pour toute une partie de la population. Ces ambiances folles, on les doit à Daniel Rebetez, dit le Léon, qui en a tenu les rênes pendant plus de quarante ans. Lieu de concert aussi, ce sont plus de 200 groupes qu’il a engagés, dont certains sont devenus des pointures. Depuis une année, le vrai bistrot prévôtois est devenu une salle à manger renommée, fort bien restaurée, avec un changement d’affectation, plus feutrée, même si certains préféraient l’ancienne mouture.
Daniel Rebetez, né en 1951, est un Prévôtois pure souche. Fils de Camille, assureur bien connu et de Marcelle, née Meyer, de la famille des varappeurs expérimentés. Il a une sœur et deux frères. Après sa scolarité, il fait des stages dans divers milieux pour enfin se tourner vers ce qui deviendra plus qu’une passion, la vie de bistrotier. Il fréquente pendant deux ans l’école hôtelière et sera barmaid, cuisinier ou tout ce qui touche à la restauration et officiera à Zurich, Interlaken, autour du lac de Bienne, etc.
Le Cheval Blanc
Ce qui lui plait dans la restauration, c’est le contact avec la clientèle et l’espace de liberté que lui offre le bistrot. Il rentre donc au pays après ces périples dans ces divers lieux et se fixe à Bévilard, chez son oncle varappeur, Bernard Meyer, qui tient le Cheval Blanc. On est dans les années 1974-1977, au plus fort de la Question jurassienne. Il y avait une ambiance fantastique et c’était une époque incroyable au niveau de la solidarité », ajoute-t-il.
L’Ours
Par la suite, il occupe quelques emplois à Lausanne et Genève avant de racheter le restaurant de l’Ours avec le bâtiment attenant. Il est associé avec Willy Boivin. Les travaux dureront presqu’une année et le bistrot, avec son fameux caveau, le tout entièrement rénové sera inauguré le 10 juillet 1989. Rapidement, il se fera une clientèle fidèle et le Léon y créera une atmosphère détonante où les échanges entre clients, grandes gueules ou philosophes divers faisaient merveille dans des discussions enflammées. Le bistrot était un des piliers de la ville avec une âme certaine et une ambiance comme il en existe peu, avec bien entendu des idées autonomistes. Avec une petite restauration simple, Daniel Rebetez a opté pour des animations régulières avec notamment la présence de groupes de musique. « Tu ne te rends pas compte, il y avait des musiciens peu connus qui ont joué à l’Ours et qui sont devenus de véritables pointures dans leur domaine. J’ai engagé plus de deux cents groupes », raconte-t-il avec une certaine fierté. Et souvenons-nous aussi de ces parties de luge qu’il organisait depuis la basse Montagne de Moutier jusqu’au stand, qui réunissaient bien plus de cent personnes dans la meilleure des humeurs, en collaboration avec le Corsica-sports.
C’était mieux avant
« C’était l’époque bénie (pour certains) où on pouvait fumer partout. Il y avait parfois des nuages de fumée dans le troquet et personne ne s’en plaignait. Le taux d’alcool était plus élevé et il y avait peu de contrôles. Pendant près de quinze ans de rires, de foires, de soirées folles, c’était le paradis ! Je me souviens aussi d’une équipe de petites nénettes qui venaient régulièrement boire leur ballon de rosé et fumer leur clope. Les gens venaient pour se retrouver et pour se marrer. Maintenant, tout le monde a les yeux fixés sur son natel, l’ambiance n’est plus pareille, il faut aller fumer sur le trottoir. Oui, les temps ont bien changé », relève-t-il.
Il passe la main…
En 2006, il décide de passer la main et ce sont quatre gérants qui lui succéderont, pendant une dizaine d’années. Il monte alors une entreprise de taxis en Valais pour des gens fortunés. Il va les chercher à l’aéroport de Genève pour les amener sur les pistes de ski ou les transporter d’un coin à l’autre. « Expérience un peu particulière », nous confie-t-il. Des gens guindés qui ne lui adressent pas la parole, qui vivent dans leur petit monde feutré, dans un autre monde, quoi. Il se souvient d’un voyage Genève-Verbier, avec les parents et leurs trois enfants qui n’ont pas dit un mot durant le trajet, chacun étant sur son portable ou sa tablette.
… et reprend la main
Il faut croire que son bistrot lui manquait, puisqu’il a repris l’Ours jusqu’à la fin de l’année 2020, avec son amie Isabel. Les habitués retrouvent leur Léon, mais pas pour longtemps, pour quelques mois seulement, puisqu’il saisit l’opportunité de vendre l’établissement à un groupe de Prévôtois qui le transforment de fond en comble pour en faire un restaurant de belle notoriété. Certains nostalgiques et piliers de l’établissement déplorent cependant que leur lieu de retrouvailles et leur bistrot habituel ait disparu. Bien qu’à septante ans, le Léon aurait quand même joué les prolongations encore quelques années, il met donc un point final à plus de quarante années passées à servir ses clients, souvent aussi des amis. Et pour maintenir son physique de jeune premier, il pratique le vélo, la moto, la marche, la raquette ou le ski. Avec sa retraite, c’est un pilier de la vie prévôtoise qui disparaît en laissant des souvenirs mémorables à une bonne partie des gens de Moutier et d’ailleurs.
Claude Gigandet