Portraits

Le bagou du Bérou sans tabou

Edition N°16 - 25 avril 2019

Le Bérou, allias Albert Ruch, passionné de moto et paysan heureux. (photo cg)

L’œil vif, la poignée de main solide et chaleureuse, la tchatche alerte, le Bérou affiche un tour d’épaules presque démesuré par rapport à sa taille moyenne. Est-il encore besoin de présenter ce paysan connu comme le loup blanc en Prévôté? Jovial et charismatique, toujours en train de siffler un air connu de lui seul, sa silhouette trapue se reconnaît loin à la ronde et le bonhomme, volontiers taquin, n’est pas avare de théories philosophiques sur moult sujets. Grand amateur de moto tout terrain, il s’est confié en toute modestie et convivialité.

Quand on arrive chez lui, au Clos Hennet, on est accueilli par Scott, un brave chien sympa croisé bouvier-labrador, sans un aboiement, ce qui est rare quand on s’approche d’une ferme. Avant que je ne frappe à sa porte, j’entends déjà, par la fenêtre ouverte, l’organe du Bérou qui s’étonne de ma façon de parquer. C’est vrai que le domaine est grand, mais je n’empiète pas sur quelque passage que ce soit. Bon, c’était juste pour avertir qu’il m’avait vu arriver. Et le café fume déjà dans ma tasse, servi par Eliane, son épouse aussi discrète qu’il n’est volubile!

La 4e génération

Albert Ruch, puisque c’est son vrai nom, né en 1960, a fait ses classes à Moutier et a toujours vécu dans cette ferme du pied du Graitery, exploitée par sa famille depuis quatre générations. Il est père de deux garçons adultes d’une trentaine d’années, Yves, employé au service des eaux de Moutier et Cédric, charpentier. Il fait tout d’abord un apprentissage de bûcheron, puis d’agriculteur. Il bosse dans un garage et dans une entreprise de maçonnerie avant de reprendre le domaine familial, au décès de son père en 1992, qu’il exploite avec Eliane. Actuellement, il a revu ses prestations à la baisse et ne pratique plus de culture ni de livraison du lait, depuis 2015, pour des raisons de rentabilité. «La politique agricole n’est plus enviable», tonne-t-il. Seuls subsistent l’élevage de vaches-mères et la pension pour des chevaux. «C’est clair, on vit avec moins, mais on a aussi moins de frais. Je tiens à garder une exploitation à taille humaine et nous avons beaucoup de respect pour les animaux», dit-t-il en affirmant qu’il est aussi un «esthéticien de la terre». Et les temps changent. On ne le verra plus vendre ses saucisses, lards ou viandes séchées sur les marchés. Lui qui vendait aussi auparavant près de cent sapins de Noël en un samedi matin y a renoncé, car des grandes surfaces ont pourri le marché.

SOS faons

Après avoir vécu quelques déboires en fauchant ses prés, il aimerait faire passer le message pour que les gens qui promènent leurs chiens dans ses environs, les tiennent en laisse afin de ne pas effrayer les biches qui allaitent leurs faons, qui sont bien cachés dans l’herbage. «J’en ai malencontreusement une fois fauché un et voir dame chevreuil qui aboie en cherchant son petit, ça fend le cœur», s’apitoye-t-il. 

Moto-passion

Son truc, sa ferveur, son plaisir, au Bérou, c’est la moto, cross ou enduro, passion qu’il a aussi transmise à ses enfants. Il a par ailleurs été champion suisse d’enduro en 1983 et vice-champion six ans plus tard. Deux fois par année, il met son terrain à disposition, en accord et collaboration avec des clubs jurassiens qui offrent d’autres dates, afin que les jeunes de la région, amateurs de vrombissements, puissent rouler et s’éclater en sécurité, avec toutes les autorisations requises, bien entendu.

Au mois de mars, c’est pour le championnat MXRS, et en septembre-octobre, c’est sous les auspices du Moto-Club Isadora de Moutier qu’ont lieu des entraînements au travers de deux catégories: amateurs ou confirmés, ainsi que quelques sessions pour les Minis. Il est parfaitement conscient que ce sport génère du bruit, mais il en appelle à la tolérance, deux fois par année, et invite les éventuels acrimonieux à venir boire une bière et manger une saucisse dans l’ambiance conviviale de ces courses où règne la camaraderie.

On se souvient aussi que le Bérou avait accueilli pendant près de dix ans, dans la ferme héritée de sa mère, magnifiquement placée sur une butte tout près de chez lui, une équipe de gens du voyages, des Yéniches (Gitans suisses), qui voyagent à la belle saison et sont sédentaires en hiver. Une belle expérience, avoue celui qui prétend avoir aussi de lointaines origines gitanes, mais la ferme qui tombait en ruines a dû être détruite et il espère la reconstruire bientôt plus belle qu’avant, à l’instar de la chanson du vieux chalet, là-haut, Sur Chaux. 

Claude Gigandet

Le Bérou, allias Albert Ruch, passionné de moto et paysan heureux. (photo cg)