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N’importe quoi, mais pas n’importe comment

Edition N°34 – 21 septembre 2022

Grâce aux autres univers, Evelyn Wong peut rapidement développer des aptitudes comme la maîtrise du kung-fu. (photo ldd)

Accrochez bien vos ceintures : le 15e épisode de notre série cinéma s’attaque au délirant « Everything Everywhere All at Once » (littéralement tout, partout, en même temps), comédie dramatique brisant les frontières du multivers. Ça va décoiffer ! 

Contrairement aux machines à laver de sa laverie, la vie d’Evelyn Wang ne tourne plus aussi bien qu’auparavant. En plus d’avoir des finances peu saines et le fisc sur le dos, cette immigrante chinoise établie aux USA mène une relation toxique avec toute sa famille. Son père Gong Gong est déçu d’elle, son mari Waymond tente de l’approcher avec une demande de divorce et sa fille Joy ne supporte plus que sa mère ne l’accepte pas telle qu’elle est. Evelyn est sur le point de craquer lorsque l’improbable absolu se produit. Son mari d’un univers parallèle vient la prévenir d’une terrible menace planant sur le multivers, sous la forme de Jobu Tupaki, un être surpuissant capable de modifier la réalité à sa guise. Dernier espoir de notre monde, Evelyn va devoir se battre comme jamais en s’appropriant les diverses compétences spéciales de ses autres « elle », réparties dans des univers plus tordus les uns que les autres. Un bien étrange combat s’annonce. 

Vous avez dit bizarre ? 

Avec leur dernière création foldingue, le duo de réalisateurs Daniels (Daniel Kwan et Daniel Scheinert) atteint ici un niveau d’absurdité totalement délirant. 

Au travers d’une réalisation dynamique, l’histoire bondit d’univers en univers en surprenant à chaque fois le spectateur. La protagoniste se retrouve ainsi dans un monde où les êtres humains ont les doigts en saucisse avant d’être propulsée ailleurs et de tomber sur un cuisinier piloté par un raton laveur. 

On se gardera bien sûr de révéler toutes les autres surprises farfelues que le film a encore dans son sac. Le fait est que toutes ces idées folles ont parfaitement leur place dans une intrigue ultra riche qui n’a de cesse de renchérir. 

L’ensemble est servi par des scènes de combat absolument spectaculaires, minutieusement chorégraphiées et par moment hilarantes. Histoire de parfaire le tout, pas mal d’effets spéciaux numériques très joliment exécutés, ce qui impressionne lorsque l’on sait que seulement cinq personnes ont travaillé sur ces derniers. Autant dire qu’en termes de bizarrerie et de travail scénique, « Everything Everywhere All at Once » fait figure de pure orfèvrerie. 

Jouer avec les émotions 

La forme, c’est certes bien joli, mais qu’en est-il du fond ? C’est justement là où le film frappe encore plus fort car entre deux gros éclats de rires générés par des scènes absurdes, « Everything Everywhere All at Once » raconte l’histoire d’une héroïne malheureuse, convaincue de n’avoir jamais rien accompli de bien. Mais grâce aux événements étranges qui lui tombent dessus, Evelyn fait face à ses propres démons et va apprendre à les surmonter pour être en paix avec elle-même et sa famille, sa fille en particulier. Un travail sur soi-même amené par des moments très touchants mais qui restent dans l’esprit du film. En témoigne cette scène surréaliste et pourtant si belle où deux cailloux ont une discussion des plus importantes. 

Beaucoup de profondeur pour une œuvre qu’on penserait uniquement folle au premier abord mais qui apporte bien plus. En revanche, malgré toutes ses grandes qualités, « Everything Everywhere All at Once » a le défaut d’un peu donner le mal de tête. Il faut dire qu’avec ses visuels ambitieux, son montage énervé et son scénario complexe, le film est difficile à digérer sur le moment et requiert forcément plusieurs visionnages. Mais vu la richesse et la qualité du produit fini, loin l’envie de ne pas s’y risquer. Après tout, le multivers est vaste et ne demande qu’à être exploré encore et encore. 

Louis Bögli

« Everything Everywhere All at Once »

Réalisation : Daniels
Durée : 2 h 20
Pays : USA
Note : 4.5 / 5  

 

3 questions à … Françoise Girardin, responsable de la programmation du Cinématographe 

Pourquoi avez-vous décidé de diffuser un film aussi bizarre ?
Personnellement, quand j’ai vu les premiers visuels, je me suis dit « non ». Ce n’était pas mon genre de film. Mais il a entre-temps reçu d’excellentes critiques et est même passé au Nifff (Festival du film fantastique de Neuchâtel) où il a rencontré un joli succès. Cela nous a confortés dans l’idée de le diffuser dans notre salle. Je compte d’ailleurs bien aller le regarder. 

Mais n’avez-vous pas peur qu’en raison de sa bizarrerie, le film se vende mal auprès des spectateurs ?
Je m’étais d’abord dit que jamais je n’irai voir ce film. Mais c’est en creusant un peu plus que je me suis rendu compte qu’il devait y avoir quelque chose d’intéressant avec cette œuvre, déjà rien qu’avec ses visuels. Un jeune de Tramelan qui avait vu le film au Nifff nous a même encouragé à le diffuser. Nous avons un public qui apprécie ce genre d’œuvres étranges. 

Y a-t-il aussi cette volonté de varier les plaisirs, au risque qu’un film ne rencontre pas son public ?
C’est le créneau de notre cinéma. Nous avons chaque semaine un film grand public et entre un ou deux films plus difficiles d’accès qui touchent des personnes plus intellectuelles ou aimant des choses bizarres. Notre cinéma a toujours procédé ainsi et s’en est fait sa réputation. (lb)

Grâce aux autres univers, Evelyn Wong peut rapidement développer des aptitudes comme la maîtrise du kung-fu. (photo ldd)