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Nos otages, notre angoisse

Edition N°5 - 9 février 2022

Prisonniers des Talibans, David Och et Daniela Widmer n’hésitent pas à tenir tête à leurs bourreaux. (photo ldd)

Dans ce quatrième épisode de notre série cinéma, nous plaçons le curseur sur la dernière réalisation du Suisse Michael Steiner, un film sous haute tension et riche en émotions : « Nos otages ».

Dans le paysage cinématographique helvétique, Michael Steiner fait figure de couteau suisse. Ce réalisateur actif depuis les années nonante n’a pas peur de toucher à tous les genres de films, créant une étrange filmographie. Il a ainsi réalisé des comédies plus ou moins familiales, un documentaire expérimental ainsi que des thrillers dont l’un flirte efficacement avec l’horreur. Mais avant que Michael Steiner ne puisse réaliser son avant-dernier long-métrage, un livre peu ordinaire sort en 2015 : « Und morgen seid ihr tot » qu’on pourrait traduire par « Et demain vous serez morts ». Coécrit par Daniela Widmer et David Och, l’ouvrage raconte l’enfer vécu par les deux auteurs alors qu’ils étaient otages d’un groupe de Talibans en 2011.

Probablement désireux de raconter une nouvelle histoire suisse rocambolesque comme il l’avait déjà fait en 2006 avec la chute de Swissair, Michael Steiner s’est pressé d’acquérir les droits du livre. Cette année, les spectateurs peuvent enfin vivre cette sombre histoire sur grand écran.

Tout ça pour des mangues

Couple heureux et aventurier, David Och et Daniela Widmer prennent leur van et s’en vont faire un road trip sur l’ancienne route de la soie, passant par le Pakistan. Au cours d’une escale, les deux voyageurs achètent de délicieuses mangues qui, une fois dégustées, rendent leurs mains fort collantes. Ils décident alors de s’arrêter brièvement en bord de route pour se nettoyer. Grave erreur : des hommes armés en profitent pour les kidnapper et, après les avoir trimbalés dans des paysages désertiques telles de vulgaires marchandises, finissent par les vendre à des Talibans du Waziristan. Ces derniers assurent néanmoins le couple qu’il sera rapidement libéré, du moins dès qu’on aura acheté sa liberté. Problème dans l’équation : la Suisse ne paye pas de rançon. Daniela Widmer et David Och passeront donc 259 jours dans les griffes des Talibans. Un calvaire difficilement imaginable que les acteurs Morgane Feru et Sven Schelker rendent plus vrai que nature en incarnant brillamment un couple au bord du gouffre, luttant pour ne pas craquer et, surtout, pour survivre. Le désespoir et les grincements de dents seront légion, l’espoir et la joie quasiment absents.

Entrer dans l’action

Afin de consolider les performances de ses acteurs, Michael Steiner a opté pour un style un poil « sale gosse », filmant principalement avec une caméra à l’épaule. L’image bouge et est rarement stable, imitant presque un style documentaire. Le film est en cela très subversif. Le spectateur a cette étrange sensation de s’ennuyer avec les otages lorsqu’ils sont emprisonnés dans une cour pendant plusieurs mois puis se met à paniquer avec eux lorsqu’une attaque militaire met à feu et à sang une ville entière. Michael Steiner nous plonge au cœur du chaos, ne craignant pas de lorgner du côté des blockbusters américains en nous proposant des scènes d’action explosives, bien rares dans le cinéma suisse.

Les moments plus calmes ne sont pas en reste car à la fois touchants et bourrés de tension. Une tension qui ne cessera de croître jusqu’au dénouement de l’évasion à la fin du film, moment de pure adrénaline où le stress atteint son paroxysme jusqu’à la conclusion que les médias nous ont maintes fois contée. « Nos otages » ne fait au final pas grand-chose de plus, le film de Michael Steiner se contentant simplement de présenter à sa façon cette folle histoire au travers du prisme du 7e art et tout le spectaculaire venant avec.

L’expérience n’en demeure pas moins efficace et brutale. On n’en demandait pas plus. Reste au spectateur de croire ou non au récit de Daniela Widmer et David Och qui, à peine de retour en Suisse, n’ont guère convaincu tous les médias avec leur témoignage rocambolesque. Reste que prendre 1 h 55 pour se faire son propre avis, ça n’est pas un mauvais plan, surtout pour contredire les Talibans du film qui clament sournoisement : « Vous les Suisses, vous avez les montres. Nous, nous avons le temps. »

Louis Bögli

« Nos otages »

Réalisation : Michael Steiner Durée : 1 h 55

Pays : Suisse

Note : 4/5

 

3 questions à …

Daniel Chaignat,
Président de la coopérative
Cinematographe-Royal

Est-ce qu’un film comme « Nos otages » intéresse les spectateurs ?

On se demandait avant la première projection du film comment ça allait se passer, et on est globalement content du résultat. Environ vingt personnes sont venues le premier soir. C’est probablement dû au fait qu’avec ce film, les Suisses sont en jeu et qu’il raconte une réalité historique très serrée. On sait que le réalisateur a voulu être au plus près de la réalité, et ça, les gens l’apprécient.

Un film suisse d’une telle ampleur, est-ce inhabituel ?

C’est assez rare car c’est un film qui a exigé d’importants moyens financiers et techniques qu’on pense être hors de portée des réalisateurs suisses. Et là de voir qu’on arrive à faire des projets comme « Nos otages », on est étonné en bien. Si tous les personnages parlaient anglais, on aurait vraiment pu croire que le film a été produit par les USA.

Ce genre d’œuvre ambitieuse pourrait-il aider à dépoussiérer le cinéma suisse aux yeux du grand public ?

Je crois que cette image de films suisses un peu poussiéreux où un paysan promène sa vache dans de jolis paysages, est en train de disparaître. Depuis une quinzaine d’années, on a de grandes productions, des éléments qui démontrent qu’on est totalement compétitifs sur le marché du film.

(lb)

 

 

Prisonniers des Talibans, David Och et Daniela Widmer n’hésitent pas à tenir tête à leurs bourreaux. (photo ldd)