Portraits

Un artiste patrice pas triste

Edition N°23 - 10 juin 2020

Umberto Maggioni, dit le Madge, un artiste attachant, a découvert Moutier en 1957, arrivé en Vespa depuis Lausanne. (photo cg)

Patrice, d’après le dico: titre honorifique en usage dans l’Empire romain. Voilà qui pourrait bien coller à la personnalité de notre invité, sauf que lui préfère la simplicité et la générosité aux honneurs et aux appellations insolites! Umberto Maggioni, appelé aussi le Madge, est un artiste attachant et sincère qui est un génie des formes, des rondeurs et représentations féminines suggérées, avec un style reconnaissable et bien à lui. Ses marbres, bronzes, terres cuites, dessins et gravures plaisent énormément. Ce n’est pas son art que nous allons évoquer, mais son arrivée en Prévôté, avec quelques anecdotes, il y a déjà pas mal de temps.

Derrière son éternelle barbichette grise, il s’enquiert de ce qu’il pourrait bien me raconter. Je lui propose de ne pas parler de son art, mais des péripéties de son arrivée à Moutier. Un vrai conte. Né en 1933 à Lausanne, comme son père, mais lombard d’origine, il précise que papa était employé à la compagnie des Wagons-lits sur la ligne de l’Orient-express. De 1937 à 1940, la famille est appelée en Tchécoslovaquie où vient de s’ouvrir une ligne Prague-Rome. Dépaysement total pour ce gosse qui fait sa première année d’école dans une langue slave aujourd’hui complétement oubliée. Et c’est la guerre. Le père Maggioni, qui a gardé sa nationalité italienne, est envoyé au front, en Sicile, et la famille s’établit à Rome où il fait ses classes. Retour à Lausanne en 1947 et Umberto y fait sa dernière année, ne parlant pas un mot de français. Il enchaîne avec un apprentissage de technicien-dentiste et suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts le soir et le samedi.

Quel trou!

Il bosse encore deux ans dans la capitale vaudoise et a envie de changer d’air. Il repère une annonce et décide de venir se présenter à Moutier chez M. Jeannerat. Il enfourche son scooter et se retrouve à Moudon. «Je ne sais pas si l’adresse était mal écrite, mais les gens ne connaissaient pas la rue de la gare, ni le nom indiqué. Après vérification, ils m’envoient donc à Moutier. Quel voyage, surtout en Vespa! A la sortie des sinistres gorges de Court, je découvre la ville. Mais j’arrive où? C’est le bout du monde ici! Pas de lac, on ne voit pas les alpes et toutes ces montagnes», raconte-t-il. Les présentations faites avec son futur employeur, il décide de s’installer dans ce «trou», surtout que le salaire proposé est quasiment le double de celui qu’il touche à Lausanne. Il y fait sa place, fréquente le restaurant de la Couronne dont le patron, Martino, vient de la même région que lui, parle le même dialecte. Il y trouve une chambre près du labo et se fait reprocher par la propriétaire d’être italien et que quand il lave ses chaussettes, il les met sécher sur le radiateur. Il n’y fera pas long feu et s’installera dans une piaule en ville où il commence à modeler, puis une autre à Eschert avec comme voisin un certain José Ribeaud, qui deviendra le premier présentateur du téléjournal à Zurich. Ils garderont de bons contacts, s’écrivant régulièrement. Mais un jour sa femme lui corrigea ses fautes de français ce qui fit réagir le journaliste qui lui répondit: «Tu diras à Nelly de laisser tes lettres telles quelles, c’est comme ça que je te connais et t’apprécie»!

Ville formidable !

Le Madge s’émerveille de découvrir sa ville d’adoption avec ses vies culturelles et artistiques hors normes pour lui qui arrive de la froide Lausanne, ce qui lui fera dire: «Ils ne sont pas suisses, ici»! Il y rencontre l’amour avec Nelly, une fille du lieu, et Gregory naîtra en 1970. Membre du club des Arts où il rencontre une super ambiance, il fait la connaissance de Max Robert, expose avec André Ramseier et Roger Voser. Ce dernier l’invite à Belprahon où il se rend avec sa Vespa sur la route encore pas goudronnée et il a le coup de foudre pour ce village. Il y construit sa maison, un véritable nid d’aigle sur les hauteurs, côté est, au pied du Raimeux, en plein milieu des pâturages de ce bled encore peu habité en 1968. Une centaine de mètres de grimpette est nécessaire pour y accéder. Plus tard, il rajoute son atelier.

Parlons-en, de son antre. Très peu de béton, une charpente qui a fait se demander à certains s’il construisait une grange, et des parois vitrées. Des petites pièces, des couloirs étroits où il règne une ambiance quelque peu capharnaüm. De ses nombreux contacts avec les artistes régionaux, dont certains mondialement connus, il ramène des peintures, des dessins ou des gravures qu’il accroche aux murs, si bien qu’il n’y a plus dix centimètres carrés de libre, des objets partout, de même que les sols qui sont recouverts de plusieurs tapis. Quelle ambiance!

Artiste comblé

Umberto Maggioni devient une valeur sûre de l’art qu’il ne cesse de parfaire tout en équilibrant ses formes, courbes et masses. Il se rend régulièrement en Italie où il se familiarise avec le travail du marbre. Il y exposera de nombreuses fois et est considéré comme «le sculpteur suisse»! Membre de Visarte et de la société des peintres et sculpteurs jurassiens, il reconnaît avoir beaucoup progressé et appris au contact des divers artistes qu’il a côtoyés. Il compte plus de trente expos personnelles et ne compte plus les collectives, avec près de mille deux cents œuvres réalisées. A Moutier, il a connu les galeries de la maison de la quincaillerie Zahno, sous les toits, qui mettait gratuitement les locaux à disposition en échange d’une œuvre de l’exposant, puis de la maison Neuhaus (rue de l’Hôtel de ville), puis le Musée jurassien des Arts. On trouve les œuvres du Madge un peu partout non seulement dans la région, mais aussi à l’international, ce qui ne l’empêche pas d’être resté simple, convivial, sympathique et généreux. Jamais il n’a pris la grosse tête. Plusieurs fois, il a presque «donné» ses sculptures monumentales, juste pour les frais de production.

Une fierté

Artiste mais aussi altruiste, il mentionne fièrement avoir fait partie de l’équipe qui a fondé la revue Trou, (avec Jean-Pierre Girod, Roger Voser et Georges Barth), une revue d’art qui mettait à disposition des artistes un certain nombre de pages, sans aucun commentaire ni critique sur leur travail. Ainsi, le peintre ou le sculpteur pouvait parfois se livrer au jeu de l’écriture et l’écrivain à celui du dessin. Architectes, compositeurs, photographes, cinéastes, soit plus de cents personnes, ont également collaboré à cette la revue, encore plus connue à Paris et dans la francophonie que dans notre région. Aujourd’hui disparue, après une vingtaine de numéros entre 1979 et 2010, elle a laissé une trace mémorable dans le monde artistique.

Claude Gigandet

Umberto Maggioni, dit le Madge, un artiste attachant, a découvert Moutier en 1957, arrivé en Vespa depuis Lausanne. (photo cg)