Culture

L’évolution est en marche

Edition N°38 – 18 octobre 2023

La guerre opposant l’humanité à l’intelligence artificielle pourrait-elle prendre fin ? (photo ldd)

Tout part d’un monde alternatif auquel le nôtre pourrait méchamment ressembler d’ici quelques décennies. L’IA, l’intelligence artificielle, est plus développée que jamais et les robots deviennent une partie essentielle du quotidien. Cette belle relation homme-machine vole en éclat le jour où une ogive nucléaire explose en plein centre de Los Angeles. Les USA mettent la faute sur l’IA contre laquelle ils s’empressent de mener une croisade sans pitié. Dix ans après le début du conflit, le mutilé sergent Joshua Taylor se laisse convaincre par le gouvernement américain de retourner en Nouvelle Asie, un pays fraîchement créé où la population cohabite pacifiquement avec les robots. L’ancien soldat se rend en territoire ennemi pour identifier et détruire la dernière création de l’intelligence artificielle : une arme qui pourrait mettre fin à la guerre. Mais quelle n’est pas la surprise de Joshua lorsqu’il découvre que ladite arme n’est autre qu’une gamine robotique, la première du genre. Un être encore innocent qui pourrait bien être LE sauveur de l’IA car ayant en elle la capacité de détruire NOMAD, une plateforme spatiale gigantesque mettant continuellement un couteau sous la gorge de la population de la Nouvelle Asie. 

Des hommes et des machines 

Difficile de nos jours de passer à côté de l’intelligence artificielle : elle fait déjà partie intégrante de notre quotidien. Précieux outil ou appel à la fainéantise, possibilités infinies ou menace grandissante, le débat ne sera pas mené ici. 

« The Creator » choisit en tout cas son camp, se demandant à quoi pourrait ressembler un monde où l’humanité vit littéralement avec des êtres artificiels, cruellement persécutés pour leur supposée dangerosité. En résulte un univers étrange comme on en voit peu au cinéma. Des visuels à la fois charmants et perturbants où robots pratiquent l’agriculture, fument des joints, revêtent des gilets de police, pratiquent des rituels religieux ou simplement caressent un chat. 

Le réalisateur Gareth Edwards y va à fond, enchaînant idées parfois déjà vues ou trouvailles saisissantes. On déniche en toute logique dans les inspirations scénaristiques et visuelles des parallèles faisant échos aux guerres menées par les USA comme le Vietnam ou l’Irak. Dans le film, la menace américaine plane littéralement au-dessus des personnages sous la forme d’une intimidante structure dont le laser bleu ruine toute possibilité de fuir, faisant inévitablement écho aux implacables drones de combat. Sur une note plus amère, l’intrigue prenant vie dans cet étrange contexte de guerre empeste le déjà-vu et laisse derrière elle de nombreux trous scénaristiques. Au final, l’histoire relève davantage d’un prétexte, d’une toile de fond, pour soulever une simple question à laquelle le spectateur est invité à répondre : si une autre forme d’intelligence venait à prendre de la place sur Terre, serions-nous prêts à l’accepter comme un égal et vivre avec ? 

Vision d’un auteur 

Le message est fort, mais là où « The Creator » excelle tout particulièrement, c’est dans la puissance de ses images. Pas un manche niveau visuel, Gareth Edwards se surpasse, comme à son habitude, en livrant des plans plus impressionnants les uns et les autres. Engins monstrueux et villes futuristes écrasent les personnages de par leur taille, donnant de vraies sensations de gigantisme. Tout semble plus grand et plus beau que nature. Paysages thaïlandais verdoyants et temples tibétains se mêlent habilement aux robots armés et véhicules saugrenus. Le décor idéal pour accueillir des scènes d’affrontement dantesques avec leurs lots d’explosions massives qui satisferont les amateurs d’action. Un pot-pourri d’apparence mais exécuté avec suffisamment de savoir-faire pour que tout fasse sens. Le réalisateur réussit l’exploit de livrer une œuvre visuellement plus aboutie que la plupart des gros films sortant actuellement, avec deux voire trois fois moins de budgets (lire encadré). Un véritable exploit. On aura beau reprocher au troisième acte de trop se précipiter sans nous laisser le temps de profiter, l’émotion reste à son paroxysme à la tombée du générique de fin. 

Le visionnage s’avère touchant, spectaculaire et hautement divertissant. L’expérience cinématique est totale, prouvant à nouveau l’indétrônable force de la création filmique. 

Louis Bögli

 

Le saviez-vous ?

Un as de la débrouillardise
Avec un budget serré de 80 millions de dollars, Gareth Edwards a dû se montrer malin pour porter à l’écran sa vision tout en limitant les coûts. Le réalisateur a donc privilégié le tournage dans de vrais décors en Thaïlande, réduisant les séquences tournées en studio qui auraient coûté plus cher. Robots, véhicules et bâtiments futuristes ont ensuite été ajoutés en post-production. Le tout a été filmé avec la Sony FX3, une caméra relativement compacte, nécessitant donc une très petite équipe pour certaines scènes. Faire beaucoup avec peu n’est d’ailleurs pas une première pour le réalisateur. Son premier film, sorti en 2010, “Monsters”, ne comptait en tout que sept personnes dans l’équipe de tournage, acteurs compris, et les effets spéciaux ont été réalisés par Gareth lui-même. Coût total des opérations : 500’000 dollars. Chapeau, M. Edwards.

(lb)

« The Creator »
Réalisation : Gareth Edwards
Durée : 2 h 13
Pays : USA
Note : 4.5 / 5 

La guerre opposant l’humanité à l’intelligence artificielle pourrait-elle prendre fin ? (photo ldd)