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«La clé, c’est l’immunité collective»

Edition N°14 - 8 avril 2020

Anthony Hauser: «Enfreindre les règles ne fera que rallonger la période de confinement.» (photo ldd)

– Anthony Hauser, comment expliquez-vous le fait que personne n’avait prédit une telle crise sanitaire?

– Je ne dirais pas que personne n’avait prédit les risques potentiels d’une épidémie. En janvier, certains épidémiologistes ont mis en garde contre une possible propagation du virus au-delà de la Chine. Ils se basaient principalement sur les caractéristiques du virus, notamment son potentiel de transmission. En moyenne, une personne infectée transmet le virus à deux, trois individus, ce qui permet au virus de se répandre très rapidement.

– Qu’est-ce que le coronavirus?

– Le coronavirus est en fait une famille de virus qui est connue depuis des dizaines d’années. Il est notamment responsable de l’épidémie de SRAS apparue en Chine en 2002 et qui s’est répandue dans plusieurs pays. En temps normal, on trouve ce virus chez l’animal, comme le singe ou la chauve-souris. Sa transmission de l’animal à l’homme, bien que rare, peut se produire, comme ça a été le cas en novembre/décembre 2019 dans un marché ouvert de fruits de mer à Wuhan, en Chine.

– Comment se transmet-il?

– La transmission interhumaine du virus se fait principalement de deux manières. Soit à l’aide de petites gouttelettes qui restent en suspension dans l’air après qu’une personne infectée tousse ou éternue. Soit par contact direct d’une surface contaminée, comme une poignée de porte, avec les mains, qui touchent ensuite les yeux, le nez ou la bouche, permettant au virus de pénétrer à l’intérieur du corps.

– Quelles sont les personnes les plus vulnérables face au coronavirus?

– Les personnes les plus vulnérables sont les personnes âgées, ou les personnes souffrant de maladie chronique, hypertension, diabète ou maladie respiratoire (affection pulmonaire). Il semblerait que la mortalité due au coronavirus soit aussi plus grande chez l’homme que chez la femme.

– Pensez-vous que rendre le port du masque obligatoire serait une bonne mesure? 

– Des études ont montré que certains masques permettent de limiter la propagation de particules dans l’air. En outre, le port du masque permet aussi d’empêcher le contact entre nos mains, potentiellement contaminées et notre visage. Le problème actuel avec les masques n’est pas leur efficacité, mais leur pénurie. Pour cette raison, il est important de laisser les masques aux personnes qui sont le plus au contact du virus, c’est-à-dire le personnel hospitalier. 

– Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise du Conseil fédéral jusqu’ici?

– On observe que la Suisse, à l’instar de l’Europe, a mis du temps à réaliser l’ampleur du danger. Contrairement aux pays asiatiques qui ont une expérience de ce genre de situation, la Suisse n’était pas prête à affronter ce genre de menace. Actuellement, le Conseil fédéral collabore avec les experts en maladies infectieuses, épidémiologistes et virologistes par exemple, pour apporter la réponse la plus adaptée possible. Il faut aussi tenir compte que le Conseil fédéral prend en considération d’autres éléments que ceux liés à la santé publique, comme par exemple l’impact de cette crise sur l’économie.

– Les Suisses ont-ils trop tardé avant d’adopter une attitude responsable? 

– Les Suisses, à l’image du Conseil fédéral, ont mis du temps à réaliser l’ampleur de la crise. Des données collectées par les téléphones portables montrent néanmoins que les Suisses ont globalement intégré le danger du coronavirus. La plupart d’entre eux ont compris qu’il faut éviter les lieux publics par exemple. Enfreindre les règles ne fera que de rallonger la période de confinement.

– Quelle est la clé qui permettra de vaincre cette pandémie? 

– A long terme, on pourra venir à bout de cette pandémie uniquement par l’immunité collective. C’est un phénomène selon lequel, la propagation du virus diminue naturellement lorsqu’une proportion suffisante de la population a été infectée. Cela repose sur le fait qu’une personne infectée devient immune contre le virus et ne pourra plus être réinfectée. Dans le cas du coronavirus, cette immunité serait atteinte seulement après que 50-70% de la population ait été infectée. La découverte d’un vaccin permettrait d’atteindre cette immunité collective tout en évitant que la moitié de la population soit infectée, mais cela prendra du temps.

– Combien de temps? 

– Certainement pas avant au moins un an. Plusieurs étapes sont nécessaires pour produire un vaccin. Il faut d’abord trouver la bonne formule, ensuite le tester sur des animaux, et enfin sur des humains. Chaque étape prend du temps, mais elles sont essentielles afin de garantir que le vaccin est efficace et non-toxique. En temps normal, cela prendrait des années. Néanmoins, le fait que les spécialistes du monde entier travaillent simultanément sur la découverte d’un vaccin va accélérer le processus. 

– Quels sont les critères qui entraîneront la levée du confinement? 

– Le confinement permet de ralentir la propagation de la maladie à court terme, afin d’éviter l’engorgement des hôpitaux. Le confinement constitue une solution temporaire, mais il ne permettra pas à lui seul de venir à bout de cette crise. Dès que le nombre journalier de nouveaux cas et le nombre de personnes hospitalisées descendront suffisamment, le confinement pourra être progressivement levé. Afin d’éviter une nouvelle flambée à ce moment-là, il sera primordial de tracer les contacts de chaque nouvelle personne infectée et de les isoler.

– Le coronavirus va-t-il faire une nouvelle apparition cet hiver? 

C’est une question à laquelle on ne peut pas encore répondre. Certains virus comme la grippe sont sensibles au changement de climat et se transmettent moins bien en été. Dans le cas du coronavirus, il est encore trop tôt pour dire si une telle saisonnalité existe. Le risque de résurgence du coronavirus dépend aussi de la durée de son immunité et évidemment du laps de temps avant la découverte d’un vaccin.

Propos recueillis
par Olivier Odiet 

Anthony Hauser: «Enfreindre les règles ne fera que rallonger la période de confinement.» (photo ldd)