Portraits

L’antivirus de Pâques

Edition N°14 - 8 avril 2020

Françoise Surdez: «Le rire offre des moments appréciables de détente pour maintenir le cap et continuer le combat jusqu’à la victoire sur la guerre!»

Confinée dans sa chambre du couvent, la mère supérieure quasi centenaire était à l’agonie. Elle venait d’Irlande et un brave paroissien connaissant son origine avait la délicatesse de lui offrir à chaque fête de Pâques une excellente bouteille de whisky irlandais. L’une des sœurs qui veillait cette vieille dame respectable essayait en vain de lui faire boire du lait chaud. A la cuisine, se souvenant tout-à-coup du donateur attentionné, elle eut l’idée de rallonger le lait avec du whisky. Cette fois-ci, la mère supérieure trempa davantage ses lèvres dans le breuvage, le savoura, l’avala, en pris une bonne lampée puis but par rasades. 

Son regard s’illumina alors comme si elle était ressuscitée et toutes, devant ce phénomène extatique, lui demandèrent un dernier judicieux conseil. «Mes sœurs», leur recommanda-t-elle solennellement et chaleureusement, «ne vendez jamais cette vache!» J’écris ces lignes un premier avril, jour des farces et facéties, en me souvenant que la fête de Pâques peut tomber sur cette date et le cœur rempli d’une joie que viennent encore nourrir les paroissiennes amies qui m’ont raconté ce matin au téléphone d’autres witz qu’elles se transmettent comme des virus sur WhatsApp que je n’ai pas.

La RTS a récemment fait un carton avec une émission remplie d’humour, de tendresse et de chansons en renda1nt un vibrant hommage à toutes les personnes qui en ces temps de crise se dévouent les unes pour les autres avec un héroïsme discret et sans égal. La preuve que le rire offre des moments appréciables de détente pour maintenir le cap et continuer le combat jusqu’à la victoire sur la guerre! Il existe une tradition médiévale authentifiée qui consistait à faire rire la communauté durant la célébration pascale.

Le prédicateur n’avait pas de peine à provoquer l’hilarité de ses ouailles, ce que l’on peut regretter de nos jours. Si j’ai risqué cette blague au début de mon article, il est évident que je n’aurais pas pu l’exprimer en chaire ou du moins sans un contexte pertinent. Non seulement parce qu’il est difficile d’y faire rire, mais parce qu’elle pourrait suggérer la raison pour laquelle l’Eglise a banni ces pratiques de la liturgie: dans l’intention de faire rire la galerie, les prêtres ont usé et abusé de contrepèteries, de plaisanteries grivoises et vulgaires. Le diable – celui qui divise et crée le chaos destructeur – et la mort sont caricaturés comme des ennemis vaincus sur des chapiteaux d’église. Un rictus leur déforme le visage lorsque le Christ leur tord les bras en les capturant. Et si le médecin Rabelais estimait que le rire était une gêne essentiellement humaine et thérapeutique, il existe un rire divin qui scelle la victoire du Christ Ressuscité sur la mort et son cortège de maux et de misères. Le rire est une dimension de la spiritualité et Dieu, même s’il pleure par amour dans la Bible sur l’incompréhension, la misère et le rejet des hommes, traverse aussi l’Histoire d’un rire fou ou d’un fou rire qui sait que la Vie et l’Amour auront toujours le dernier mot sur la mort et la destruction: celui de la Résurrection. Osons espérer qu’en ce jour de Pâques que je vous souhaite malgré tout joyeux nous redécouvrions la profonde dimension théologique d’un humour et d’un rire qui démontre que même au pied de la Croix où nous pouvons déposer les croix que nous portons dans nos réalités quotidiennes «la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes».

Françoise Surdez: «Le rire offre des moments appréciables de détente pour maintenir le cap et continuer le combat jusqu’à la victoire sur la guerre!»