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André Schaad : « L’eau, c’est la vie ! »

Edition N°11 – 20 mars 2024

André Schaad : « L’eau dit tout. Si le poisson va mal, l’être humain va mal. » (photo ldd)

Qu’est-ce que le milieu de la pêche vous a apporté pour que vous reveniez, d’une façon ou d’une autre, à le fréquenter depuis votre jeunesse ?

– Mon père pêchait dans le lac de Bienne et il m’emmenait souvent avec lui. On prenait beaucoup de poissons, puisqu’à l’époque, on prenait et rentrait avec des centaines de perches. Ceci a bien changé… (il sourit) Plus tard, dans les années 1970, j’ai été sensibilisé par l’état de nos cours d’eau. Le lac de Bienne était complètement pollué. Je n’ai jamais fait de politique, cependant dès que j’ai eu le droit de vote en 1971 je me suis consacré au niveau associatif, pour lutter contre les pollutions qui gangrénaient nos rivières et nos lacs. Dans ma jeunesse, les égouts se déversaient directement dans les cours d’eau et les lacs. La lutte pour implanter les STEP était alors une priorité. Dans les années 2000, quand je suis revenu de l’étranger, je me suis engagé au niveau des sociétés de pêche de nos régions, puis au niveau cantonal, à la fédération cantonale bernoise. Encore dernièrement, nous avons soutenu l’initiative populaire contre les pesticides (ndlr « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse », 13 juin 2021). Dans ce domaine, le problème est immense et il y a une désinformation flagrante. De nos jours on retient les phosphates, mais peu est dit sur les micropolluants, les microplastiques, les produits pharmaceutiques comme les contraceptifs, qui rendent les poissons stériles. Certaines stations d’épuration sont équipées pour filtrer les micropolluants, mais de loin pas toutes.

Actuellement, on affirme que la qualité de l’eau des lacs et des rivières en Suisse s’est globalement améliorée. Vous confirmez ?

– Elle s’est améliorée, oui. Dans certains coins, comme le lac de Thoune, en raison de l’absence de phosphate dans l’eau, qui est un engrais pour les plantes, il n’y plus assez d’algues pour générer le plancton végétal, qui est la nourriture des alevins de la perche. Perche que l’on ne retrouve pratiquement plus dans ce lac. Une eau trop épurée peut donc également nuire à certains poissons. Cela dit j’estime qu’il vaut mieux avoir une eau pure avec un cheptel de perches moindre, qu’une eau trop contaminée aux phosphates. 

Dans les années 1970, les perches ont failli disparaître dans le lac de Bienne. Sous l’influence des phosphates, le lac était complétement envahi par les algues. Les perches, dont les alevins se nourrissent de plancton végétal, grandissaient trop vite et étaient capturées dans les filets avant même qu’ils aient pu se reproduire. Comme toujours, des mesures ont dû être prises. Il a fallu adapter la grandeur des mailles des filets des pêcheurs professionnels et accélérer la construction des STEP.

Où on est-on, dans le Jura bernois, avec la prolifération des algues ?

– On n’a plus ces problèmes. L’eau est d’une meilleure qualité. S’il y a prolifération des algues, c’est qu’il y a un problème ponctuel quelque part. Dans les faits nous avons un problème encore plus grave, qui est la stérilité des poissons. Avec le réchauffement climatique, au-delà de 19 degrés, les truites développent des maladies, de reins et autres. Cela dit, même si la Birse p. ex. se porte bien, nous avons eu à Tavannes en septembre dernier un empoisonnement de la rivière. Plus de 800 truites dont de nombreux beaux géniteurs ont péri.  C’est une lourde perte, surtout que, si la Birse se porte bien, c’est en raison que depuis trois ans nous avons décidé, avec l’inspectorat cantonal de la pêche et les sociétés de pêche de la Birse, de ne plus y faire d’alevinages artificiels de truites. Un poisson conçu en pisciculture, qui grandit dans un ruisseau pépinière et que l’on remet en rivière, n’est pas adapté à ce milieu et ne subsiste pas aux prédateurs. 

Les réservoirs biologiques sont atteints. Face à ces conditions, quel avantage à maintenir la pêche ?

– Justement, à protéger les eaux. Les pêcheurs sont aux premières loges. Un pêcheur n’est pas ce que beaucoup pensent, une sorte de « viandard ». Il y a des lois, et tout pêcheur qui se respecte, respecte ces lois tout en jouant son rôle d’informateur. Derrière les pêcheurs du dimanche, il y a les sociétés de pêche, les sociétés cantonales où l’on trouve un tas de monde, ingénieurs et biologistes, qui œuvrent afin que ce « baromètre » qu’est l’eau reste dans les normes correctes. L’eau est un baromètre. L’eau dit tout. Si le poisson va mal, l’être humain va mal, parce que l’eau c’est la vie. D’ailleurs, les pêcheurs font des milliers d’heures en tant que bénévoles : ils s’activent à la renaturation des cours d’eau, la création de frayères, etc. L’année passée, la valeur des heures bénévoles fournies par les pêcheurs dans le canton de Berne a dépassé 1,2 million de francs.

Le nombre de pêcheurs diminue. C’est un fait. Cela vous inquiète ? 

– Les sociétés de pêche d’il y a cinquante ans ont disparu. Et les sociétés actuelles vont disparaître à leur tour, si leurs anciens ne se remettent pas en question. C’est pourquoi j’ai notamment créé une société de pêche, le Golden Junior Club, pour les jeunes de 9 à 17 ans. Dans ce club, les jeunes sont encadrés par des moniteurs et tout y est gratuit. Il compte aujourd’hui cinquante-sept membres. Personne n’aurait parié là-dessus. Et pourquoi ça marche ? Parce que j’ai tenu compte que le monde a changé. Il n’est pas vrai que les jeunes ne s’intéressent plus à la pêche, ils s’y intéressent différemment : la jeunesse est très sensible aux problèmes environnementaux. Les jeunes qui adhèrent au club ne sont pas tous pêcheurs, mais tous s’engagent volontiers dans des actions bénévoles pour protéger les eaux. 

Propos recueillis
par Pablo Davila

André Schaad : « L’eau dit tout. Si le poisson va mal, l’être humain va mal. » (photo ldd)