Portraits

«Je gagnais 100 francs par mois!»

Edition N°25 - 24 juin 2020

Charles-André Geiser a inauguré le bâtiment administratif de la Fonderie Boillat, avec son bureau technique au 1er étage, lors de son apprentissage. (photos ldd)

Pasteur-journaliste retraité, Charles-André Geiser (Le Fuet) évoque son apprentissage de dessinateur en machine à la Fonderie Boillat à Reconvilier en prolongement de la série «Papi raconte-moi ton enfance» publiée dans ces colonnes le 16 avril et le 4 juin.

En 9e (dernière année scolaire), j’ai passé un examen d’orientation professionnelle. Il s’agissait d’écrire une composition, une dictée, de répondre à des questions mathématiques et aussi de tordre un fil de fer pour lui donner une forme. Le résultat de cet examen démontra que j’avais des aptitudes pour devenir dessinateur en machine. La Fonderie Boillat à Reconvilier me proposait une place d’apprentissage. J’ai accepté. Les années scolaires commençaient au mois d’avril. Début avril 1962, je me suis rendu en voiture à Reconvilier. Ma grande sœur était secrétaire des ventes à la Boillat et c’est elle qui conduisait. Le bureau technique se trouvait au 1er étage dans le bâtiment à gauche de la route venant de Tavannes. Le premier jour d’apprentissage, mon chef, Francis Liengme, m’indiqua ma place. Là se trouvait mon bureau ainsi qu’une planche à dessin de 1,20 m de large et 90 cm de hauteur. Cette planche était fixée sur un pied. Avec une pédale, on pouvait la basculer verticalement et horizontalement. Un système permettait de la main gauche de faire bouger un grand curseur et la poignée permettait d’orienter par des clics de 15 degrés ou plus précis l’équerre composée de 2 règles. La main droite était destinée à tirer des traits très précis. Ce premier jour, mon chef me demanda de dessiner un récipient en verre destiné au laboratoire. J’avais le modèle posé devant moi et il y avait des arrondis «inmesurables».

Du sport à fortes doses

Le dessinateur dont la planche était alignée dans ma rangée la fit basculer horizontalement et je l’ai reçu sur ma tête brusquement. Le fautif involontaire guigna sur le côté pour me dire en riant que le métier entrait dans ma tête! J’étais habillé d’une longue blouse blanche comme tous les dessinateurs. Nous dessinions à la main au crayon et à l’encre de Chine sur du papier calque. Francis Liengme avait reçu un surnom: Zatopek (un marathonien et coureur Olympique des 10’000 mètres). Lorsqu’il longeait les ateliers en direction de Tavannes, sa longue blouse blanche flottait derrière lui. Il marchait si vite que je devais courir derrière lui pour ne pas être distancé. Les apprentis de la Boillat étaient gâtés. Le mercredi après-midi était réservé au sport. Nous pratiquions le saut en hauteur, le foot, la course à pied et… la boxe! Je détestais la boxe. Recevoir des coups de poings en pleine figure n’a rien de drôle. Mes adversaires expérimentaient ce proverbe biblique: il y a plus de joie à donner qu’à recevoir!

Plaisanterie de mauvais goût

Les apprentis présentaient annuellement «La Revue de Reconvilier». Elle était écrite par la secrétaire de direction, mademoiselle A. H., et jouée à deux reprises au Restaurant de l’Ours.1 La 2e année, elle m’avait confié deux rôles. Après la 1re répétition, j’ai refusé un rôle. Je devais lors d’une séance du Conseil municipal tomber raide mort. C’était pour se moquer d’un conseiller un brin colérique. Je trouvais cela insultant. Mademoiselle A.H. était célibataire. Un lundi matin, elle a tenté de nous faire croire qu’elle s’était mariée. Elle portait au doigt une bague de couleur or. En réalité, c’était un fil de laiton qu’elle avait tordu. Pendant mon apprentissage, le nouveau bâtiment administratif et bureau technique a été inauguré. A midi, je mangeais à La Lingotière. Les apprentis dessinateurs de 1re année effectuaient les copies des dessins. Le liquide développeur était de l’ammoniac surchauffé comme le local. L’apprentissage durait quatre ans. La première année d’école professionnelle, un jour par semaine, se faisait à Tavannes, les trois suivantes à Moutier. Je détestais l’algèbre parce que cette branche n’était pas enseignée à l’école primaire. La géométrie descriptive était une nouvelle branche introduite pendant mon apprentissage. Je gagnais 100 francs par mois la première année et 100 francs de plus chaque année suivante. J’ai obtenu mon CFC, le 31 mars 1966, à l’issue d’un examen pratique et théorique dans les locaux de l’entreprise Von Roll à Delémont.

Charles-André Geiser

Charles-André Geiser a inauguré le bâtiment administratif de la Fonderie Boillat, avec son bureau technique au 1er étage, lors de son apprentissage. (photos ldd)