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La lutte contre les magouilles du travail

Edition N°22– 9 juin 2022

Les inspecteurs du travail Regula Aeschbacher et Frédy Geiser en pleine action. (photo ldd)

Dans ce 12e épisode de notre série cinéma, nous vous proposons de découvrir le travail quotidien des inspecteurs du travail du canton de Berne. Une sombre réalité racontée par le documentaire suisse « Travail au noir » d’Ulrich Grossenbacher. 

Bienne. Frédy Geiser et Regula Aeschbacher arpentent l’arrière d’une rue bordée de restaurants et magasins aux conditions de travail douteuses. Ils s’arrêtent dans une épicerie pour y procéder à des contrôles. Après quelques questions soigneusement préparées, le constat est clair : l’employé présent sur place est sous-payé par rapport à sa charge de travail. Autre constat navrant du côté de Worben, un duo d’inspecteurs du Contrôle du marché du travail tombe sur un jeune ouvrier œuvrant sur un chantier alors qu’il ne dispose que d’un statut de touriste. Deux petits exemples parmi beaucoup d’autres dont certains sont montrés dans le documentaire « Travail au noir ». Mais le combat ne se mène pas que sur le terrain. Tandis que les inspecteurs du travail se rendent directement chez les principaux concernés, le député au Conseil national et syndicaliste Corrado Pardini, lui, se démène pour régler le problème à la source lors de débats et manifestations politiques. Le défi que représente le travail au noir, le dumping salarial et autres fraudes est de taille : les hommes et femmes qui se battent contre, le  seront-ils aussi ? 

Thriller ou documentaire ? 

Equipé d’une poignée de caméras et accompagné d’un preneur de son, le réalisateur Ulrich Grossenbacher s’est immiscé durant quatre ans dans le quotidien des inspecteurs du travail. Des journées dont ont été tirées des centaines d’heures de vidéo. En résulte parfois des moments insolites où un aide de cuisine clandestin joue à cache-cache afin d’échapper à un contrôle ou des instants tragiques comme l’arrestation d’un sans-papiers. Cela peut paraître peu impressionnant, et c’est là où « Travail au noir » tire son épingle du jeu. 

Ulrich Grossenbacher filme davantage ses protagonistes comme dans un long-métrage classique plutôt qu’un documentaire. Les plans lorgnent plus souvent du côté cinématographique que d’un média capturant l’instant présent. Seuls éléments pouvant détromper le spectateur : les dialogues bien trop naturels et les mouvements de caméra improvisés. Avec en plus une thématique explorant le côté obscur du marché du travail, le film devient un véritable thriller, tenant parfois en haleine et pouvant peut-être même convaincre les personnes insensibles aux documentaires. 

Humaniser et sensibiliser 

« Travail au Noir » s’évertue certes à montrer la dure tâche qu’est celle des inspecteurs du travail mais présente aussi les humains qui se cachent derrière. Au travers d’une discussion autour d’un café ou lors d’un trajet en voiture, le spectateur apprend à mieux connaître ces individus qui tentent tant bien que mal de stopper les injustices du monde de l’emploi. De brefs moments de calme avant que la tempête ne reprenne sous la forme de magouilles malhonnêtes orchestrées par des entrepreneurs avides d’économies. Sans trop en dire, la fin du film est un bon résumé de la situation actuelle du marché du travail suisse. Il y a certes des avancées au niveau politique, mais les problèmes sur le terrain restent. Comme en témoignent l’absence de véritable conclusion et la brusque arrivée du générique de fin, le combat n’est de loin pas encore terminé.

  Louis Bögli 

« Travail au noir »
Réalisation : Ulrich Grossenbacher
Durée : 1 h 49
Pays : Suisse
Note : 4/5

 

3 questions à …

Frédy Geiser,
Inspecteur au CMTBE
(contrôle du marché du travail du canton de Berne et habitant de Tramelan) 

Vous êtes l’un des protagonistes du documentaire « Travail au noir ». Comment en êtes-vous venu à participer au projet ?
Cela relève un peu du hasard. Le réalisateur est un ami de la famille et je lui ai souvent évoqué des moments de mon travail. Il a alors commencé à se renseigner, à se documenter et a finalement estimé qu’il y avait matière à faire un documentaire sur le sujet. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires, il s’est lancé dans la réalisation qui a duré plusieurs années. 

Comment s’est déroulé le tournage en sachant que le réalisateur et ses caméras ne vous ont pas lâchés d’un pouce lors de vos inspections ?
Il faut savoir que rien n’a été tourné en caméra cachée. Ulrich Grossenbacher avait avec lui un équipement très compact composé de petites caméras. C’est aussi un personnage très discret. De ce fait, sa présence ne s’est rapidement plus fait remarquer. Aussi, en tant qu’inspecteurs du travail, notre focus est sur nos tâches et non sur la caméra. C’est pareil pour les personnes qu’on a visitées. 

Etait-ce selon vous important de faire un documentaire sur le travail au noir ?
Au début du projet, je me disais moi-même que ce n’était pas très intéressant comme thématique. Mais avec sa façon de faire le film, le réalisateur a pu créer des débats, des discussions vraiment profondes ainsi que des mises en doute. Cela a même fait réagir des personnes au niveau politique. Le travail au noir, ça veut dire ce que ça veut dire : on est dans l’ombre. On ne se rend pas vraiment compte que ça existe. Finalement, le film a généré de l’espérance. (lb) 

Les inspecteurs du travail Regula Aeschbacher et Frédy Geiser en pleine action. (photo ldd)