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Langage épicène et orthographe rectifiée

Edition N°25 – 30 juin 2021

« Reprenez-vous volontiers du ragout d’huitres aux oignons ? » Si à l’oreille, cette phrase s’impose phonétiquement, il n’en va pas de même à la lecture où mes yeux me piquent ! Est-ce l’oignon finement haché ? La fraîcheur du mollusque marin bivalve ? Je me dois de constater que je rejoins la cohorte des râleurs genevois dont le député PLR et ancien professeur Jean Romain pour qui « l’orthographe est le dépositaire du passé de la langue, on ne peut pas l’effacer ainsi ». Un psycholinguiste biennois a donné son avis éclairé sur le sujet. Il enseigne à l’Université de Fribourg et devrait songer à réécrire sa propre version du Ranz des Vaches, cher aux Gruériens, du patois au français rectifié. Il écrit : « Essayez de déchiffrer un texte de Molière (XVIIe s., n.d.l.r.), c’est tout bonnement incompréhensible. » Quel manque abyssal de curiosité ! Que fait-on de la saveur d’une langue ? Mais quand on doit préciser dans l’article que Molière est un auteur du Grand Siècle, celui de Louis XIV, on mesure le nivellement par le bas que redoute tant Jean Romain. Quand j’étais collégien, nous avions des professeurs sévères mais bienveillants, ouverts mais exigeants. Ils savaient nous donner des exemples et des astuces pour citer, par exemple, les grands auteurs du XVIIe siècle : « Perchée sur la racine (Racine) de la bruyère (La Bruyère), la corneille (Corneille) boit l’eau (Boileau) de la fontaine (La Fontaine) Molière. » Il faut aussi se rappeler que chaque langue a son propre génie. Pour l’allemand, chaque lettre se prononce et dès lors il est plus facile d’avoir une orthographe correcte. 

A l’opposé, le français serait une langue complexe et selon notre psycholinguiste « une complexité construite de toutes pièces ! » Et il continue et persiste : « On le doit à la volonté de l’Académie française et des grammairiens de différentes époques de complexifier le langage pour favoriser l‘aristocratie. » Heureusement, la Révolution française veillait et a décapité le monarque, puis les bolchéviques ont massacré la famille du dernier tsar de toutes les Russies au nom de la lutte des classes. Je pense qu’il faut cesser cette politisation à outrance de tout sujet même si celui de l’évolution de notre langue est d’importance.

Dès 2023, de nouveaux manuels scolaires seront introduits pour présenter et enseigner aux élèves l’orthographe rectifiée qui aura comme règle « davantage de cohérence et moins d’exceptions ». Il est trop tôt pour quantifier la notion de moins d’exceptions… mais des exceptions il y aura, comme c’était le cas dans l’ancien monde orthographique : on doit pouvoir distinguer mûr de mur par exemple. Pour ceux qui jugeraient cette révision orthographique trop simple, on va intégrer quelques éléments du langage épicène. Un linguiste prévient : « Nous avons voulu rester prudents en gardant à l’esprit que la priorité reste l’accessibilité des textes. » A mon sens, si le langage épicène ou l’écriture épicène peut se concevoir dans un titre, un slogan, il est absolument illisible dans un texte avec ses successions de traits, de points qui l’apparentent davantage à un message en morse, prémisses à un naufrage… Alors, comme l’a écrit Giuseppe Tomasi di Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »Cette célèbre citation mérite notre réflexion et on peut se poser la question de l‘effet mode dans ces réformes du langage. Quand j’étais au collège, on disait « être dans le vent ».  Aujourd’hui, être dans le vent, c’est un destin de feuilles mortes.

Par Pierre Chevrier