Actualités, Culture

L’art de dépasser les limites

Edition N°4 – 1 février 2023

Christina (à gauche) pourra-t-elle pardonner à sa fille Margaret les conséquences de ses excès de colère ? (photo ldd)

Dans ce 21e épisode de notre série cinéma, place est faite à « La Ligne », dernier film de la réalisatrice franco-suisse Ursula Meier. Un drame familial gorgé de discorde et de pétages de plombs. Ça promet.

La période des fêtes de fin d’année est communément synonyme de joie et de moments festifs. Mais pas pour la famille au centre de l’intrigue de « La Ligne ». A l’approche de Noël, Margaret, dans une rage folle, s’en prend à sa mère Christina. La dispute se termine par une violente gifle administrée à la matriarche dont la tête finit aussitôt fracassée sur le clavier d’un piano. Résultat des courses : un sifflement continu dans l’oreille gauche de la mère, une interdiction formelle d’approcher la maison familiale durant trois mois pour la fille. Pour Margaret, ancienne musicienne à haut potentiel, c’est un coup dur difficile à vivre. Constatant que sa grande sœur peine à respecter les 100 mètres de distance, Marion, la cadette de la famille, délimite la zone interdite à grand renfort de peinture bleue. Une ligne qui pourrait changer à jamais toutes ces relations, brisées par un simple geste colérique. 

Gros ratage ou pur génie ? 

Le concept de « La Ligne » est relativement simple mais malin. Avec une histoire dont l’enjeu consiste à garder les distances, on serait tenté de faire un comparatif avec les temps pandémiques gentiment derrière nous. Or, il n’en est rien ici. Il est question de faire évoluer plusieurs personnages touchés différemment par un drame familial. Mais la première chose qui saute aux yeux lors du visionnage n’est étrangement pas le déroulement de l’intrigue mais bien le jeu des acteurs. Mal dirigés ou peu talentueux, le fait est que les performances sont pour la plupart étrangement foirées. Si Stéphanie Blanchoud et Benjamin Biolay s’en tirent bien, notamment grâce à des petites séquences musicales très réussies, le reste du casting semble en roue libre. En surjeu total, Valeria Bruni Tedeschi livre ici l’interprétation surréaliste d’une mère musicienne ayant perdu goût à la musique. Difficile à dire si l’actrice et la réalisatrice ont réellement cherché à mettre les spectateurs volontairement mal à l’aise durant tout le film tant leur collaboration frôle l’hilarant ratage. Et puis, India Hair n’est guère plus convaincante dans son rôle de frangine enceinte. Le summum du pire : son mari est interprété par l’humoriste suisse Thomas Wiesel, incarnant ici un personnage inexistant et fade, gâchant sérieusement les talents de l’artiste. Des performances foirées qui ne sont que boostées par certaines absurdités du scénario dont il est difficile de connaître l’intention réelle. 

Tout ça pour ça ? 

Si l’idée de la ligne séparant la mère de sa fille fait mouche, ce que la réalisatrice en fait véritablement a de quoi décevoir. Certes, cette frontière faite de peinture crée bien souvent des situations touchantes voire drôles mais ne semble jamais aller très loin dans son propos. Encore plus frustrant : l’évolution des personnages est soit brusque soit invisible. En guise de preuve, la cadette de la famille qui tente de réparer les relations brisées avec l’aide de Dieu. Une idée intéressante mais jamais exploitée par le film, si bien que la question même de la religion n’a aucun impact dans l’histoire. Un seul mot pour décrire l’ensemble : décevant. Car Ursula Meier n’a pas de leçon à recevoir en termes de cinéma. Son œuvre est bien rythmée, jamais ennuyeuse et visuellement propre malgré la pauvreté des paysages du Bouveret. Mais pour le scénario et les acteurs de « La Ligne », il aurait mieux valu tirer un trait dessus.

Louis Bögli 

« La Ligne »
Réalisation : Ursula Meier
Durée : 1 h 43
Pays : Belgique, Suisse et France
Note : 2.5/5 

 

Le saviez-vous ?

Le Valais comme terrain de jeu
« La Ligne » n’est que le troisième long-métrage d’Ursula Meier en l’espace de quatorze ans. Mais ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle pose ses caméras en terre valaisanne. Avant le Bouveret, la réalisatrice s’était attardée du côté de Monthey et des grandes stations de ski. En 2012 sortait donc « L’Enfant d’en-haut », drame montagnard où un jeune garçon vole du matériel de ski à Verbier pour en tirer un maigre revenu. Un film qui vaudra à Ursula Meier un Ours d’argent à la Berlinale mais surtout un joli coup de fouet à la carrière du jeune Kacey Mottet-Klein, acteur suisse actuellement bien présent dans le cinéma français. On le retrouvait d’ailleurs l’année dernière à l’affiche du film « Last Dance », production belgo-suisse réalisée par une Neuchâteloise. La boucle semble presque bouclée. (lb)

Christina (à gauche) pourra-t-elle pardonner à sa fille Margaret les conséquences de ses excès de colère ? (photo ldd)