Portraits

Le jour où il a failli y laisser sa peau

Edition N°28 - 15 juillet 2020

Jean-Paul Carron a vu la mort passer tout près. (photo cg)

Sa vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille comme il aurait pu la souhaiter. Jean-Paul Carron se souviendra ad æternam de cette nuit du 27 au 28 novembre 2002 où il a failli y laisser sa peau à la suite du braquage du Casino du Jura à Courrendlin par une bande de malfrats. Il en garde encore des séquelles physiques et psychiques 18 ans plus tard, mais désire tirer un trait sur ces moments terrifiants. Il affiche actuellement une belle sérénité malgré son être meurtri et tient une forme plutôt singulière malgré ses 78 balais. Portrait du plus Prévôtois des Valaisans, un gai luron souriant et sympa.

Né en 1942 au Châble, près de Verbier, dans la vallée de Bagnes, Jean-Paul est le fils des tenanciers de l’Hôtel de la Poste et rêve d’être pilote. Mais il faut faire plaisir aux parents. C’est ainsi qu’il se retrouve, à 15 ans, apprenti cuistot au Beau-Rivage à Genève, en face du jet d’eau. Quel dépaysement pour ce petit bagnard qui découvre une ville qui vit à cent à l’heure! Après sa formation, il faut tourner pour parfaire le métier. C’est ce qu’il fait avec des stages à St-Moritz, Zurich ou à Verbier.

Puis il découvre Paris dans un grand établissement, le Scribe dirigé par un monsieur dont le nom ne s’oublie pas : Courtecuisse! Il gagne peu, mais vit bien, fréquente des cafés-théâtres et il voit de près quelques vedettes de cinéma de l’époque. Pour l’anecdote, avec un pote marmiton, ils rentrent un soir un peu éméchés et la sanction est immédiate. Une semaine de mise à pied, sans salaire et une corvée: nettoyer la cuisine de fond en comble. Ils soulèvent une trappe et c’est une nuée de cafards qui en sortent et qui envahissent l’hôtel jusqu’au 5e étage. Pas du goût de la direction ; ils se font licencier.

Jean-Paul se retrouve alors à Stockholm, devient spécialiste des poissons et y rencontre Sonia, une belle suédoise, qui lui donnera deux fils : Serge (1964) et Görgen (1965). Il y reste cinq ans puis rentre en Suisse où il dirige un motel à Martigny. Sa famille ne s’y plait guère et c’est ainsi qu’il se retrouve à Moutier, comme gérant du restaurant tout neuf de la Coop : fermeture à 18 heures et dimanches de libre. Salaire de misère mais ça change de la vie de cuisinier avec ses horaires pénibles, surtout quand on a une famille. Il y restera deux ans.

Un vrai Prévôtois

Les enfants commencent l’école. Jean-Paul n’a aucune peine à s’intégrer et trouve à Moutier une nuée de potes. Parmi eux, Yvan Lab, qui l’initie à l’haltérophilie. Il y prend goût, fera tomber plusieurs records qui en feront le champion bernois, puis champion romand et il participera aux championnats suisses. Côté boulot, il se lancera dans la vente de fromages valaisans, puis mettra sur pied un réseau de pièces d’usines et sera engagé par La Poste pour ce même service. Et il s’accordera quelques années sabbatiques alors que sa Suédoise semble vouloir retourner au pays. Il vit les années les plus sympas de sa vie, voyage en voilier sur la Méditerranée, entre de plein fouet dans la Question jurassienne et s’y crée des amitiés solides et conviviales. Plus une nouvelle histoire d’amour qui se nomme… Sonia, qui dure depuis 35 ans!

Casino

Il fréquente des casinos avec assiduité et joue des martingales précises. Il gagne, même s’il ne fait pas sauter la banque. Et lorsque le Casino du Jura de Courrendlin ouvre ses portes en 1989, Jean-Marie Mauron et René Brahier lui offrent le poste de chef croupier de l’établissement, responsable des jeux et de la sécurité. Au boulot dès le coucher du soleil jusqu’à son lever. Il s’y sent à l’aise, lui qui parle quatre langues, français, allemand, italien, suédois.

Ce matin-là

«Faites vos jeux, rien ne va plus»! Il avait fière allure, Jean-Paul Carron, mec baraqué dans son smoking. Cette nuit du 27 au 28 novembre 2002, après une soirée calme et routinière, il met la recette au coffre, fait un dernier tour du propriétaire, donne le dernier tour de clé et s’en va rejoindre sa voiture, vers 5 heures. C’est là que quatre malfaiteurs cagoulés qui s’étaient cachés lui tombent dessus, le roue de coups avec une rare violence, dans le ventre, à la tête et lui tirent une balle dans la jambe. Il est traîné jusqu’à l’entrée et menacé de mort s’il n’ouvre pas le casino. Il est contraint de couper le signal d’alarme, d’ouvrir le coffre et les bandits s’emparent du contenu, soit près de Fr. 170 000.–. Il est menotté et enfermé dans un local, baignant dans son sang. C’est juste avant 7 heures qu’un ouvrier du chantier du nouveau casino le découvre, avertit ambulance et police. Il est dans un sale état, aux soins intensifs. Fracture par balle du tibia et du péroné, pancréas, estomac et poumons sont touchés. Il fera 6 mois d’hôpital avec plusieurs interventions chirurgicales.

Tous condamnés

L’enquête durera près d’un mois avant que la police n’arrête une bande de neuf malfrats, presque tous originaires de l’ex-Yougoslavie, avec un Italien et une Suissesse. Ils étaient domiciliés dans le Jura, Jura bernois, Argovie ou Zurich. Tous n’ont pas participé activement au massacre du croupier. Des perquisitions ont permis aux polices de trois cantons de retrouver des armes, un véritable arsenal, dont un pistolet mitrailleur H&K avec silencieux, qui a servi à tirer contre Jean-Paul, un revolver Magnum, des munitions, une grenade à main, etc. Ils ont été condamnés entre deux et dix ans de réclusion, de mesures d’expulsion et des dizaines de milliers de francs de frais de justice. A noter que l’un d’entre eux est mort en prison d’une leucémie foudroyante.

Un homme positif

Jean-Paul Carron n’aime plus trop parler de cet épisode de sa vie. Physiquement, il a bien récupéré et va faire de nombreuses balades avec Sonia. Il a encore quelques vignes héritées en Valais, et de la famille où il se rend de temps à autre, un pied-à-terre à Locarno, et une équipe pour jouer aux cartes à Delémont. Ce qui le gêne un peu, c’est quelques pertes de mémoire. «Tu vois, au niveau du physique, je ne peux pas me plaindre, mais la mémoire… Bon, j’en ai pris plein la g…, mais je ne sais pas si ça vient de là»! rigole-t-il en levant son verre de Petite Arvine issu de sa vigne.

Claude Gigandet

 

Jean-Paul Carron a vu la mort passer tout près. (photo cg)