Actualités

Le téléphérique du Lac Vert !

Edition N°29- 12 août 2020

Les installations d’antan ont pu être reconstituées grâce à un minutieux travail d’investigation. (photos ldd)

Des souvenirs évoqués par une pléiade d’octogénaires de Court ont permis de réunir toutes les pièces d’un puzzle corsé suite à un long et passionnant travail d’investigation relatif au téléphérique du Lac Vert. L’histoire est saisissante. Accrochez-vous aux wagonnets, le jeu en vaut la chandelle…

Dans mon dernier livre consacré, à une seule bouteille millésimée 1774 et paru en 2018, j’ai évoqué bien sûr le contenu mais aussi le contenant, soit ce verre qui constitue la bouteille. Voici sommairement la recette de sa fabrication: «Il y a plus de huit cents ans, un moine nommé Théophile a dévoilé à ses contemporains le secret de la préparation du verre… Si vous voulez faire du verre, prenez deux mesures de cendre de bois et une mesure de sable de rivière que vous aurez soigneusement purgé de la terre et des cailloux qu’il contient; mélangez le tout, chauffez longtemps à grand feu, et vous obtiendrez une pâte prête à être façonnée… Le verre est le produit de la transmutation du sable par le feu. La silice, que l’on rencontre à forte dose dans certains sables, est le constituant principal du verre, c’est-à-dire l’élément vitrifiant, celui qui, entrant en combinaison avec les autres, va leur permettre, sous l’effet de la chaleur, d’acquérir l’état vitreux.» Lorsque la rédaction de votre hebdo favori m’a parlé d’une concession octroyée à une société de Malleray pour extraire du sable vitrifiable, j’ai immédiatement flairé un bon filon. Voici le fruit de mes investigations rendues possibles grâce à une pléiade d‘octogénaires de Court qui m’ont confié leurs souvenirs.

Poches de sable siliceux mises à jour au Mont-Girod

Le verre est connu depuis l’Antiquité et les plus prestigieuses civilisations telles que l’Egypte Ancienne, la Phénicie avait la maîtrise technique quant à sa fabrication. C’est grâce au pragmatisme et à l’empirisme des anciens que l’on va mettre en exergue certains sables riches en silice apportant ainsi l’effet vitreux tant recherché. Quelques millénaires plus tard, à Court, c’est par l’observation que des poches de sables siliceux ont été mises à jour au Mont-Girod mais aussi dès le XVIIIe siècle au Chaluet, où des verriers achetaient des concessions et trouvaient ainsi, sur place, tout le bois de chauffe nécessaire pour alimenter leurs fours. La plus ancienne société d’exploitation au Mont-Girod date des années 1880 et fut créée par Eugène Rossé. Son petit-fils, Pierre, m’a présenté un document à l’en-tête suivant: Carrières de sable vitrifiable, Eugène Rossé, Court, et avec mention de son compte de chèques! Le lieu d’extraction se trouvait à environ un kilomètre à l’ouest du Lac Vert. Un funiculaire doté de wagonnets sur rail descendait le précieux sable jusqu’à Court. Les exploitants étaient des agriculteurs et utilisaient leurs moyens fermiers.

Des clients de renom

Le sable nettoyé de ses impuretés était chargé sur des chars à foin que l’on avait garni de ridelles. Tractés par des chevaux de trait, ils prenaient le chemin de la gare de Court où le sable était chargé sur des wagons à marchandise. Vers 1930, les trois frères Houmard de Malleray vont, dans une combe, procéder à une nouvelle extraction qui, au cours des ans, provoquera la création artificielle du fameux Lac Vert puis ensuite, à quelques centaines de mètres, d’un second plan d’eau. Au moyen d’un téléphérique, des bennes accrochées à un câble descendaient le sable qui était ensuite stocké dans un silo en bois. A partir de 1940, un camion achemina le sable jusqu’à la gare de Court. Les principaux clients étaient la Verrerie de Moutier, la société Von Roll à Choindez, pour le moulage et le refroidissement du fer en fusion et la société Van Baerle à Münchenstein dans le district d’Arlesheim (BL), savonnerie productrice notamment de savon de sable. Pour les gamins d’alors, le «téléphérique» était l’occasion d’embarquer dans les bennes en passager clandestin et d’effectuer, non sans danger, la raide descente jusqu’au silo de stockage en bois.

Aujourd’hui, le réseau de câbles a été démantelé et peu à peu la riche nature, qui gagne toujours, a effacé les traces de cette épopée qui appartient désormais à l’histoire collective de la commune de Court. Bien sûr, on peut retrouver ici ou là quelques vestiges comme cette benne rouillée au creux d’une combe. Merci à Jean-Luc qui a établi ma feuille de route. Merci à Martial, Norbert et Pierre d’avoir rassemblé leurs souvenirs et c’est promis, nous irons ensemble, cet été, au Mont-Girod, sur les traces de cet épisode qui ne peut et ne doit pas être oublié.

Pierre Chevrier

Les installations d’antan ont pu être reconstituées grâce à un minutieux travail d’investigation. (photos ldd)