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Les Choses humaines : sombre et glaçant

Edition N°47 – 22 décembre 2021

Après le film Lynx publié dans notre édition du mercredi 1er décembre, découvrez le 2e épisode de notre série cinéma avec Les Choses humaines.

Alexandre, 22 ans, quitte brièvement San Francisco où il fait ses études pour venir assister à un événement honorifique dédié à son père, vieux présentateur TV coureur de jupons. A peine arrivé dans son Paris natal, le jeune homme cherche à assouvir son appétit sexuel en revoyant une ancienne conquête, fort peu encline à renouer des liens très étroits avec lui. Sans surprise, les pulsions d’Alexandre demeurent insatisfaites. Déçu, il part souper chez sa mère, en couple avec un autre homme dont la fille, Mila, s’invite au repas. Les deux jeunes font connaissance durant la soirée et se rendent plus tard à une fête où alcool et débauche coulent à flots. Là se tapissent les prémices d’une véritable descente aux enfers car, le lendemain, la police débarque chez Alexandre : Mila l’accuse de l’avoir violée au cours de la soirée. Lui est persuadé qu’il s’agissait d’un rapport consentant, elle prétend s’être sentie menacée et forcée de commettre l’irréparable. Qui a raison ? Qui a tort ? La justice devra trancher.

L’art de jouer avec le feu

Avec un postulat pareil, inutile de préciser en quoi le réalisateur Yvan Attal fait ici face à un véritable défi cinématographique et sociétal. Basé sur le livre du même nom, Les Choses humaines s’inscrit parfaitement dans les thématiques les plus brûlantes et les plus actuelles, le mouvement #MeToo arrivant en première ligne. Une œuvre hautement politique qui est là pour nous rappeler que oui, le cinéma est lui aussi politique. Manipuler une histoire à la thématique aussi délicate est sur papier un véritable casse-tête. Mais le réalisateur tire son épingle du jeu en ne prenant aucun parti, les deux protagonistes étant traités avec le même égard. Durant toute la durée du film, le spectateur est balloté dans tous les sens, ne sachant jamais qui croire : Alexandre, le jeune homme poli mais au caractère très austère envers ses conquêtes, ou Mila, jeune femme innocente et brisée mais contradictoire dans son témoignage glaçant ? On se retrouve alors à la place du jury lorsque les témoins défilent à la barre du tribunal, apportant sans arrêt de nouveaux éléments qui viennent semer le doute. Que penser des dires ? Comment prendre la bonne décision ? A quel point le crime doit-il être puni ? Autant de questions cruciales auxquelles il n’est guère aisé de répondre. De là le film tire toute sa puissance. A cela s’ajoutent des propos percutants sur les conséquences d’éducations variées où les parents récoltent ce qu’ils sèment.

Jean, le père d’Alexandre, considère avec peu de respect les femmes, les traitant davantage comme des objets que des personnes ayant tous les droits du monde de dire « Non ». Cette attitude macho, son fils semble la prendre au pied de la lettre. A l’inverse, Valérie, juive pratiquante et mère de Mila, souhaite que sa fille reste vierge avant un futur mariage, quitte à ce que le viol présumé ne soit jamais signalé à la police. Mais comme le procès le révélera, Mila n’est peut-être pas aussi pure que sa génitrice l’aurait pensé. Le propos parental est clairement mis en avant par l’œuvre. Ce n’est donc probablement pas un hasard que le réalisateur mette ici en vedette son fils Ben Attal et sa compagne Charlotte Gainsbourg, respectivement dans les rôles d’Alexandre et de sa mère.

Au cœur du chaos

Histoire de plonger pleinement le spectateur dans cette valse de scènes crues et froides, Yvan Attal opte généralement pour une caméra à l’épaule. L’image bouge, donnant l’impression d’épier les personnages sans qu’ils ne s’en aperçoivent. La caméra en deviendrait par moment presque perverse tout en rappelant au public que quoi qu’il fasse, il ne peut qu’être témoin des événements tragiques.

Lorsque s’achève la première heure du film, l’image devient plus statique, évoquant le calme rigoureux du tribunal où l’on ne verra pas passer l’heure restante.

Les minutes défilent comme les vagues de témoins tandis que la tension et le doute se font de plus en plus ressentir. L’on se sent incroyablement nerveux lors des plaidoiries, avant-dernière scène exécutée sous la forme d’un somptueux plan séquence. Les personnages se meuvent ou restent immobiles, mais la caméra ne coupe pas durant dix-sept minutes. Elle se contente de danser avec les avocats, de scruter les visages attentifs des magistrats puis de jeter un bref regard aux deux jeunes au destin brisé. L’immersion est parfaite, le pari est réussi. Mais cette inclusion du spectateur dans ce cauchemar pénal et ultra réaliste est aussi le seul vrai point négatif de Les Choses humaines. En nous contant cette histoire cauchemardesque plus vrai que nature, le réalisateur nous livre une œuvre froide, très chirurgicale mais dépourvue d’espoir. Certes, la réalité est très bien reproduite, mais à quoi bon se l’infliger au cinéma ? On ressort dépité de la salle obscure sans pour autant que le film soit mauvais, loin de là. Une œuvre magnifiquement filmée et interprétée, mais qui ne fait que rappeler les horreurs de notre monde. On ne se contente pas de regarder Les Choses humaines, on le subit.

Louis Bögli

Les Choses humaines
Réalisation : Yvan Attal
Durée : 138 minutes
Pays : France
Note : 4/5

 

3 questions à …

Sébastien Sassi, co-responsable de la programmation du Cinéma Palace

Les Choses humaines aborde des thématiques comme le viol. L’actualité brûlante attire-t-elle les spectateurs dans les salles de cinéma ?

Ça peut jouer un rôle. La presse met beaucoup en avant ce genre de scandale. Forcément, si un film en parle, ça attire du monde. Les gens se sentent concernés et peut-être que cela les responsabilise. Mais au Palace, nous n’essayons pas de faire passer un message en diffusant un film: ça reste du cinéma et du divertissement. Notre but n’est pas de faire la morale aux spectateurs.

Une œuvre aussi froide et austère a-t-elle son public ?

Oui tout à fait. C’est vrai que nous avons plutôt l’habitude de voir des films français axés sur l’humour. Ici on part effectivement sur quelque chose de beaucoup plus sombre. Mais nous essayons de diffuser tous les types de films. Ces derniers temps, nous avons eu pas mal d’œuvres familiales. La période de Noël voudrait que nous passions des films plus joyeux, mais des genres comme « Les Choses humaines » nous permettent d’un peu casser cette habitude de diffuser des œuvres à grand spectacle que l’on regarde sans trop réfléchir. Là c’est un film que l’on visionne d’un autre œil.

Le film présente un casting français 5 étoiles. Cela a-t-il une influence dans le choix d’une œuvre à projeter ?

Nous essayons actuellement de trouver la bonne recette pour attirer du monde au cinéma malgré toutes les restrictions sanitaires. Si le casting est très haut en termes de qualité d’acteurs, ça aide déjà à faire venir les gens pour voir le film. (lb)

Les Choses humaines, à découvrir dans les cinémas de la région.