Portraits

L’orgue ne le rend pas orgueilleux

Edition N°2 – 20 janvier 2021

Organiste diplômé du Conservatoire Pierre Cochereau de Nice, Daniel Marquis bénéficie d’un heureux privilège : celui de jouer sur l’orgue de la Collégiale de Moutier, considéré comme étant le plus puissant de l’Arc jurassien. Cet honneur n’empêche pas ce musicien chevronné de rester humble et sympathique en toute circonstance. Sa philosophie : la musique est si vaste qu’il n’est pas possible d’en faire le tour. Rencontre avec le résident de St-Louis (F) qui met sa passion au service des fidèles avec une assiduité rare. 

Daniel Marquis exerce-t-il sa profession d’organiste chez les catholiques ou chez les protestants ? Les deux, mon capitaine. « Un tel scénario n’aurait peut-être pas pu se réaliser à une certaine époque, mais aujourd’hui, cela ne pose pas le moindre problème, la musique parvenant aisément à traverser les frontières religieuses », relève-t-il. C’est à l’âge de six ans déjà que Daniel Marquis a commencé les cours de piano à Mervelier sous le regard attentif et bienveillant de feu Germaine Chappuis. Ses connaissances ont ensuite été complétées par d’autres professeurs de renom, soit Antoine Chételat à Montsevelier et Benoît Berberat à l’Ecole de musique du Jura à Delémont. En 1975, Daniel Marquis a vécu sa première expérience d’organiste à l’église catholique de Corban. Entre sa profession d’employé de commerce et la musique, son cœur n’a pas balancé bien longtemps. 

Répéter encore et toujours…

De 1986 à 1990, il a suivi les cours du Conservatoire Pierre Cochereau de Nice, avec un diplôme d’orgue à la clé. Dès son retour en Suisse, ce bourlingueur au grand cœur a virevolté de gauche à droite, pour reprendre sa propre expression. Entre 1990 et 2000, il a exercé la fonction d’organiste à l’église St-Georges à Malleray. Aujourd’hui, son copieux programme ne lui laisse guère de répit durant le week-end. Ses prestations à l’église St-Michel à Tramelan, chaque samedi en fin d’après-midi, et celles données en alternance le dimanche à la Collégiale de Moutier et à l’église St-Marcel de Delémont, lui permettent de maintenir un rythme soutenu. Sans oublier les répétitions hebdomadaires qui oscillent entre vingt et vingt-cinq heures en moyenne. « La musique, c’est comme le sport, il n’est pas possible de maintenir un certain niveau sans un entraînement régulier », signale-t-il. 

Pas à l’abri d’un couac 

Messes, cultes, enterrements et mariages, hélas à des doses toujours plus faibles, composent le menu de notre organiste jamais rassasié. Au fait, éprouve-t-il toujours un certain trac avant de jouer en public ? « J’utiliserais plutôt le mot appréhension car je ne suis jamais à l’abri d’un couac. J’aime bien me présenter à l’église assez à l’avance pour m’assurer que tout fonctionne. Un jour, l’orgue n’a pas démarré en raison d’un problème de disjoncteur. Je me suis alors servi du piano se situant juste à proximité sans que personne ne se doute de rien. » L’improvisation, ça fait aussi partie intégrante du métier… On ne trahira pas un secret en affirmant que l’affluence a tendance à se réduire comme peau de chagrin lors des cultes et des messes traditionnels. Fort heureusement, certains rendez-vous annuels, comme Noël, Pâques, Pentecôte, les cultes œcuméniques ou de la réformation attirent encore les fidèles en grand nombre : « Plus les bancs sont occupés, plus la stimulation de l’organiste est décuplée. La tenue d’un « culte-événement », c’est aussi l’occasion de jouer des œuvres plus importantes. » 

L’apothéose d’une carrière

Nullement insensible à l’émotion, Daniel Marquis garde un souvenir impérissable du culte organisé à la Collégiale de Moutier le 7 mars 2020 en présence de l’organiste de Notre-Dame de Paris Olivier Latry. Ce récital s’est inscrit dans le cadre des concerts marquants la fin des travaux de l’extension de l’orgue qui se sont étalés sur deux ans. Englobée dans le projet intitulé « Les achèvements des Grandes Orgues de la Collégiale St-Germain de Moutier », cette cure de jouvence s’est notamment traduite pas l’ajout de huit jeux. Chacun des 3’810 tuyaux de l’instrument a dû être nettoyé un par un et certains mesurent plus de 8 mètres. « J’ai la chance de pouvoir jouer sur la Rolls-Royce des orgues ! » s’exclame Daniel Marquis. « Entre Bâle et Lausanne, c’est le plus grand. Endosser le rôle d’organiste titulaire sur un tel bijou, digne de l’importance du lieu, c’est tout simplement toucher à l’apothéose d’une carrière. » 

Olivier Odiet 

 

« La retraite ? Pas de ça chez nous ! »

Quand s’arrêtera-t-il ? Comme chaque organiste d’église qui se respecte, Daniel Marquis n’envisage pas de stopper son activité à l’âge de la retraite : « C’est un mot qui n’existe pas dans notre vocabulaire », confie-t-il. Cela dit, notre interlocuteur ne vit pas uniquement de ses prestations d’organiste. En parallèle, il donne des cours de piano au domicile de ses élèves en avalant des kilomètres depuis son domicile de St-Louis. « Les déplacements ne me dérangent pas. C’est l’occasion de goûter à l’évasion… »

Au jour le jour… La pandémie chamboule passablement le quotidien de Daniel Marquis, qui doit lui aussi composer avec les mesures prises par le Conseil fédéral. « Je vis un peu au jour le jour », souligne-t-il. « Il suffit d’organiser un truc pour que les nouvelles directives viennent contrarier le plan mis en œuvre au préalable. Qu’on parle d’enterrements, de messes ou de cultes, cette situation sans visibilité n’est pas évidente à gérer. D’autant plus que le planning de mes activités d’organiste ne se prépare pas à la dernière minute. En temps normal s’entend.  »

Le goût des voyages. Consciencieux, persévérant et d’une nature joviale, Daniel Marquis souligne qu’il aurait pu concilier son goût pour les voyages avec une carrière internationale en lorgnant du côté de Paris ou de Munich juste après l’obtention de son diplôme décroché au Conservatoire Pierre Cochereau à Nice, mais son choix s’est porté sur un retour dans la région ce qui ne lui laisse pas le moindre regret : « Le fait d’être régulièrement approché par les fidèles pour me complimenter sur la prestation livrée est une marque de reconnaissance qui me touche beaucoup. Oui, la trajectoire suivie jusqu’ici me convient parfaitement car elle m’a permis de m’appuyer sur un équilibre familial ce qui n’aurait pas forcément été le cas en choisissant l’option susmentionnée.  » (oo)