Portraits

Mécano infatigable et généreux

Edition N°6 - 13 février 2019

Walter Hürlimann, une vie et une retraite consacrées à la mécanique et aux voyages. (photo cg)

Derrière des yeux pétillants accentués par des sourcils gris et un crâne bien dégarni, on découvre un homme au sourire malicieux, encore juste en âge de lire Tintin (de 7 à 77 ans paraît-il). Walter Hürlimann est de cette trempe d’hommes qui ont bossé toute leur vie et qui ont de la peine à s’arrêter. Globetrotter infatigable et polyglotte, il a arpenté les quatre coins du monde pour expliquer, montrer ou apprendre comment fonctionnent les machines qui ont fait de Moutier une réputation industrielle mondiale. Portrait d’un personnage convivial, altruiste et généreux.

1940. Un agriculteur saint-gallois, Meinrad Hürlimann traverse la Suisse et déménage avec son tracteur Hürlimann (pas de parenté) pour reprendre la ferme Beau-Pré de Porrentruy. Comme on a besoin de bras dans l’agriculture, il engendre quasiment la moitié d’une équipe de foot, soit six garçons dont Walter est l’aîné, né en 1942. La famille, qui ne parle pas un mot de français, déménage ensuite à Damphreux où le jeune Walti fait ses classes, puis travaille une année dans le polissage de montres, avant que le paternel ne l’autorise à faire un apprentissage (1958-1962) à la Bechler de Moutier. Il a aussi fréquenté pendant une année le collège St-Charles de Porrentruy. Son père l’aurait bien vu devenir curé. «Surtout, ne l’écris pas», ironise-t-il! Mais heureusement (pour lui) il en fut autrement. C’est donc dans son village ajoulot qu’il repère, puis épouse une belle égérie, Vérène (Cuttat), dame au grand cœur et à la tchatche volubile. De leur union naitront Stéphane et Carole. Ils sont deux fois grands-parents. 

Bourlingueur et polyglotte

Walter se perfectionne et se voit proposer un séjour à l’étranger, soit à Montréal, soit à Milan. C’est finalement en Italie qu’il ira où il vivra dix ans, pour assurer le service après-vente des décolleteuses Bechler. De retour en 1975, il s’installe en Prévôté, comme monteur ainsi que sur les foires industrielles, et est envoyé en Pologne, en Russie, en Tchéquie ou en Suède. Il apprend encore l’anglais et le voilà à l’aise aussi bien en français, qu’en allemand, en italien, en anglais…et il parle même le patois. Il vit la fusion des grandes entreprises de la place Tornos-Bechler-Petermann et fera malheureusement partie d’une vague de licenciements, alors qu’il est âgé de soixante ans, après quarante-quatre ans de boîte. Mais tout de suite il retrouve du boulot chez Pibor à Glovelier où il restera jusqu’à la retraite. 

Retraite active

Mais n’allez pas croire que retraite sera synonyme de farniente. Bien sûr il aura un peu plus de temps pour ses loisirs: il chante à la Sainte-Cécile, fait partie du comité d’arboriculture, des patoisants, il adore jardiner et rendre service. Mais il s’investira encore pour ses chères décolleteuses et ira faire des dépannages ou de l’instruction en Inde, en Iran ou en Californie. Pour preuve, le coup de fil qu’il a reçu, en italien, lors de notre entretien, pour une demande de dépannage. Il reste aussi actif en mécanique et sera le fondateur de l’équipe de bénévoles, retraités et passionnés, qui restaurent les anciennes machines pour le MTAH (musée du tour automatique et d’histoire). Tous les mardis, une fine équipe formée de Jurg Kummer, Jean-Louis Schlup, Georges Monnier et lui se retrouvent dans les sous-sols du Forum de l’Arc pour redonner leur lustre d’antan aux trésors des débuts de l’histoire de ce qui a fait de Moutier la capitale de la machine-outil et le fruit du génie de toute une région. 

Walti acteur de cinéma

Notre bourlingueur s’est rendu plusieurs fois en Inde, à Chandigarh, une ville construite par Le Corbusier, et a noué des liens avec un industriel de céans, M. Puriwal. Il n’est pas rare de voir débarquer ce monsieur chez les Hürlimann, leur apporter des cadeaux et les inviter à manger. Celui-ci, peu avant les années septante était fabricant de montres et avait remarqué que les pièces étaient produites en Suisse. Il se renseigne et un jour, il débarque à Moutier, s’arrête devant la Petermann et achète une douzaine de machines. Des spécialistes se rendent en Inde pour les instructions et c’est une nouvelle douzaine de décolleteuses qui seront à nouveau livrées. Depuis, son fils a repris la boîte qui compte plus de deux cents ouvriers et les voyages de l’indien à Moutier ne sont pas rares. On peut par ailleurs le retrouver régulièrement au SIAMS. Dernièrement, la firme a acheté de nouvelles machines, mais numériques, celles-ci, et devinez qui s’est déjà rendu à trois reprises faire les mises en marche et les instructions? Walter Hürlimann. Et c’est lors de son dernier voyage, fin janvier, qu’il fut accompagné par Bertrand Theubet qui réalise un film-documentaire: L’homme et les machines, un film qui raconte l’histoire du tour automatique, et qui permettra aux générations futures de comprendre, de connaître et d’apprécier ce savoir-faire exceptionnel de nos aînés. On y verra de nombreuses scènes réalisées en Inde avec des reflets du voyage et notre homme transformé en acteur, expliquant avec force gestes aux gens du cru le fonctionnement des décolleteuses, mais aussi et surtout ses potes bénévoles œuvrer à la restauration du patrimoine des beautés mécaniques du passé.

Claude Gigandet

Walter Hürlimann, une vie et une retraite consacrées à la mécanique et aux voyages. (photo cg)