Culture

Une adaptation à fond la caisse

Edition N°32 – 6 septembre 2023

De gauche à droite : le coach grincheux, le jeune prodige et le fou du marketing. (photo ldd)

Jeune gamer vivant à Cardiff, Jann Mardenborough passe son temps libre sur le jeu vidéo Gran Turismo, un simulateur de conduite automobile d’une précision technique et graphique de haut niveau. Un hobby mal compris par son entourage, particulièrement son père, car pour Jann, ce n’est pas qu’un simple divertissement mais une fenêtre sur un monde où il voudrait un jour travailler. Mais pas facile pour un jeune britannique de mettre les pieds sur un circuit de course. 

Le destin fait bien les choses puisqu’au même moment Danny Moore, responsable marketing chez Nissan, propose une idée tordue à la division de sport automobile pour booster les ventes : organiser une compétition réunissant la crème des joueurs de Gran Turismo et permettre à l’un d’eux de devenir pilote professionnel. Jann va bondir sur l’occasion et, à grand renfort de volonté et de coups de volant, se forger la destinée dont il a toujours rêvé. Un scénario irréaliste façon conte de fée, pourrait-on penser. Mais les apparences sont trompeuses : l’histoire dont s’est inspirée le film est tout à fait vraie, aussi réelle que le jeu vidéo qu’elle adapte au cinéma. 

Virage artistique à 180° 

Réalisateur de « Gran Turismo », le sud-africain Neill Blomkamp est surtout connu pour ses films de science-fiction méchamment sales gosses. À quel point ? Imaginez brigands, robots ou extraterrestres se taper dessus dans des environnements en ruines où insultes et gerbes de sang se croisent fréquemment. Il est alors curieux de voir le réalisateur changer son fusil d’épaule pour aller filmer des bolides aux quatre coins du globe. Cela dit, la patte de l’artiste est bien omniprésente. « Gran Turismo » jouit d’un travail visuel spectaculaire. Les courses de voitures sont toutes plus impressionnantes les unes que les autres. La caméra y est pour beaucoup : elle se balade, traque les pilotes, se pose le temps d’une seconde, se glisse dans le moteur, joue avec les profondeurs de champ. Des plans qui en jettent, couplés avec un montage dynamique et explosif, nous plaçant au bord de notre siège tant la compétition s’intensifie par moment. 

Neill Blomkamp n’en oublie pas non plus son passé d’artiste en effets visuels. Il se permet quelques folies pour impressionner tandis que d’autres sont là pour nous rappeler qu’il s’agit bien d’une adaptation de jeu vidéo. Ainsi, de petits graphiques nous indiquent le classement du héros durant la course tandis que la voiture est démontée pièce par pièce pour un effet de style surprenant. Tout cela n’est pas toujours beau à regarder, mais il faut reconnaître que le réalisateur a fait de son mieux pour projeter l’audience au cœur de l’action sans air de déjà-vu. 

Un bon fond sous le capot 

Il convient néanmoins de rappeler la réelle nature du film : c’est un immense placement de produit, et qui ne le cache jamais. L’œuvre est même surprenante à ce niveau car en plus de mettre en avant différentes marques telles que Sony, Nissan, etc., c’est également un biopic mais aussi une adaptation du jeu Gran Turismo au cinéma. Un combo délirant comme on en voit peu en salle, faisant du vilain aspect marketing un élément étrangement essentiel à l’intrigue, même si son utilisation fait par endroit très tache dans le scénario. Ce dernier reste relativement sobre, plaçant quelques moments drôles et émouvants entre deux courses pour créer un semblant de parcours du héros. Et même si ce dernier semble souvent réussir trop facilement, qu’il s’agisse de contredire le coach ou de sortir avec la fille de ses rêves, il faut avouer qu’on finit par s’y attacher, à ce pilote en herbes. Malgré ses actes de bravoure sur la piste, Jann n’en reste pas moins humain et se retrouve confronté à des situations particulièrement éprouvantes. Et si l’une d’elle n’était justement pas de faire face à un père qui ne croit pas au rêve de son enfant ? Qu’on se sente personnellement concerné par une telle situation ou non, « Gran Turismo » a le mérite de réussir là où bien autres adaptations de jeux vidéo échouent : avoir un tant soit peu du cœur…

Louis Bögli

« Gran Turismo »
Réalisation : Neill Blomkamp
Durée : 2 h 14
Pays : USA
Note : 4/5 

 

Le saviez-vous ?

Les jeux vidéo au cinéma
Adapter le 10e art pour les salles obscures date d’au-delà des années 2000. A ce niveau, « Gran Turismo » peut se vanter d’être dans le haut du panier, car le passage des consoles au grand écran finit souvent en tête à queue.

Les années 1990 en sont un très bon exemple puisque sortent notamment les adaptations des jeux Mortal Kombat et Super Mario Bros qui se feront démolir par les critiques de l’époque. La décennie suivante n’est guère plus glorieuse puisque débarquent en salle une flopée de films ratés, dont la plupart sont signés Uwe Boll, réalisateur allemand légendaire de médiocrité. Les années passent, et à quelques rares exceptions, surprennent avec des adaptations correctes voire réussies, la nouvelle mouture de Super Mario sortie ce printemps en étant un solide exemple. Mais finalement, qu’on ait joué au jeu d’origine ou non, peut-être que certaines choses sont tout simplement faites pour rester dans leur forme originelle.

(lb)


De gauche à droite : le coach grincheux, le jeune prodige et le fou du marketing. (photo ldd)