L’aventure prend une tournure particulière dans ce 27e épisode de notre série cinéma. Curieux mélange entre comédie et horreur, « Beau Is Afraid » (Beau a peur) suit les tribulations délirantes d’un héros anxieux, devant se dépasser pour faire face à son plus grand défi : sa très chère mère.
Contrairement à ce que son prénom pourrait suggérer, la vie de Beau n’est pas des plus belles. Vivant dans une ville gangrenée par le crime, il enchaîne les séances chez son thérapeute et les médicaments supposément destinés à l’aider. Entre deux rencontres faites avec des psychopathes cherchant à lui faire sa peau dans la rue, le citoyen anxieux se prépare à voyager pour visiter sa mère, Mona, une riche femme d’affaires. Mais des circonstances absurdes finissent par faire capoter le départ. Comble de la situation : Beau apprend par téléphone que sa génitrice s’est accidentellement fait décapiter par un lustre. Terrassé, l’homme va malgré lui devoir sauter par-dessus son ombre et entreprendre une incroyable odyssée pour arriver à temps aux funérailles de sa mère. Mais le trajet et les péripéties ne seront pas ce qu’elles semblent être. Ni le spectateur ni même Beau n’y seront préparés.
Une expérience surréaliste
Réputé pour ses long-métrages horrifiques acclamés, Ari Aster prend son public au dépourvu en accouchant d’un film qui ne semble s’affilier à aucun genre en particulier. Les scènes oscillent entre l’absurde, le tragique, le cauchemardesque ou le mélancolique sans aucune véritable préférence. L’on rit autant devant un quiproquo entre le héros et un policier que l’on se sent profondément mal à l’aise devant une séquence se déroulant dans un grenier obscur. L’ensemble se vit plus comme un rêve éveillé, ou plutôt un cauchemar vu le penchant horrifique de l’œuvre. Il est indéniable que le réalisateur s’en donne à cœur joie avec sa mise en scène, enchaînant les environnements marquants et les moments audacieux. En témoigne cette scène visuellement explosive où le personnage évolue dans des décors en papier accompagné d’une narration apaisante. Une proposition qui, comme l’entièreté du film, détonne avec tout le reste. La poésie peut à tout moment être coupée par la violence sanguinolente. Le calme par la tempête. Le visionnage de « Beau Is Afraid » en devient très déstabilisant et guère agréable, volonté ou non du réalisateur. Ce qui en revanche ne change pas sur toute la durée de l’œuvre, c’est bien la performance exceptionnelle de Joaquin Phoenix. L’acteur incarne avec justesse l’anxiété d’un homme perdu, réaffirmant sa place parmi les meilleurs comédiens du moment.
Trop c’est trop
Il va de soi que la plupart des choix pris par Ari Aster (si ce n’est tous) ont un sens plus profond qu’il n’y paraît, aussi tordus soient-ils. En se concentrant un minimum durant le visionnage de ce gloubi-boulga, il est possible de tisser des sous-textes pertinents et donnant de la profondeur à une histoire basique sur le papier. La maternité est évidemment au cœur du récit, le héros tentant de rejoindre sa défunte mère. Son voyage est jalonné de références clés et de souvenirs aidant à voir au-delà de l’œuvre brute. Bien plus encore semble raconter « Beau Is Afraid », qu’il s’agisse de la sexualité, de la paranoïa, etc. Mais en pratiquement trois heures de film, on ressort particulièrement déstabilisé et lessivé, c’est trop. Beaucoup trop. Plusieurs visionnages seraient nécessaires pour décortiquer le tout, mais encore faudrait-il en avoir l’envie et la motivation. Car en dépit de ses qualités indéniables, le long-métrage est trop généreux et trop lourd à regarder, presque une épreuve en soi. Un joli gros défaut si l’on peut dire. Puisque « Beau Is Afraid » semble tant aimer la métaphore, autant en tirer une conclusion dans ce sens : imaginez simplement une belle noix dont vous convoitez le savoureux contenu… mais sans pouvoir en briser la coque sur laquelle vous vous êtes littéralement cassé les dents.
Louis Bögli
« Beau Is Afraid » Réalisation :
Ari Aster
Durée : 2 h 59
Pays : USA
Note : 2.5
Le saviez-vous ?
Avec ses 32 millions de dollars de budget, « Beau Is Afraid » est le film le plus cher jamais produit par A24. Pourtant, cette maison de production américaine fondée en 2012 a plutôt pour habitude de produire des œuvres à petits budgets ou d’en assurer la distribution en salle. Elle en a même fait sa spécialité, tout en laissant aux réalisateurs une grande liberté artistique. Il en résulte des productions aux partis pris artistiques souvent très marqués, s’adressant principalement à un public de niche. Mais grâce à une poignée de films ayant fait grand bruit, A24 s’est forgé en à peine plus d’une décennie une solide réputation à Hollywood. Quelques-unes de ses productions sont même parvenues à remporter des Oscars, notamment le surprenant « Everything Everywhere All at Once » (lire l’édition de La Semaine du 21 septembre 2022), reparti avec sept statuettes l’hiver dernier. Dès lors, pas étonnant que la maison de production se permette de temps à autres quelques excès de folie et de budget.
(lb)