Portraits

Une vie de passion pour la photo

Edition N°13 - 3 avril 2019

Nouss Carnal devant sa collection d’appareils rares, tenant le premier Polaroïd datant de 1947. (photo cg)

Chevelure et barbe argentées, amateur de thé de cynorrhodon avec un trait de jus d’orange (mais pas que), bon vivant et jovial, Nouss Carnal a voué toute sa vie à la photographie professionnelle. Ses images du monde industriel, politique, culturel, artisanal ou social constituent un témoignage iconographique d’une valeur exceptionnelle pour la région, de la fin des années soixante aux années 2000. Il avait tout d’abord fait don de près de 280’000 négatifs, une centaine de classeurs représentant environ 10 mètres linéaires, au Musée du tour automatique et d’histoire de Moutier (MTAH) qui les transmis à Mémoire d’ici, à St-Imier. Mais l’homme est également connu pour ses nombreuses expositions personnelles et collectives. Ses techniques inédites et inventives ont marqué un parcours artistique atypique.

Enfant de Moutier né en 1942, Nouss Carnal y a fait ses classes, puis un apprentissage de dessinateur de machines à la Tornos. Il a pratiqué trois ans son métier, puis a bifurqué vers la photographie grâce, à l’époque, au fameux article 30. Il a suivi les cours de l’école de photographie de Vevey pour en ressortir diplômé tout d’abord comme laborant, puis comme photographe, cumulant ainsi trois CFC. Il a encore été expert et préparateur aux examens de cette même école, membre fondateur du Centre jurassien d’arts visuels, enseignant et formateur, membre de Visarte, conservateur adjoint du MTAH, etc.

Artiste et expérimentateur

En 1967, Nouss Carnal installe son atelier de photographie à Delémont, où il se domicilie, qu’il exploitera une cinquantaine d’années à divers endroits de la ville. Mais depuis un bon bout de temps, il est revenu vivre à Moutier, dans la maison de son enfance. Dans son échoppe jurassienne, il forme six apprentis dont des noms qui sont bien connus dans le monde des adeptes de Nicéphore Niepce, qui, rigole-t-il, deviendront ses concurrents. Il maîtrise tous les domaines de la photo professionnelle, mais l’homme est un véritable touche-à-tout et curieux de ce qui, de près ou de loin, concerne la photo. Il a besoin de manipuler ses images, de les triturer, d’inventer des techniques, d’expérimenter, de fuir le conventionnel, de privilégier la fantaisie. Il peut avoir recours à l’informatique ou travailler dans le plus pur style artisanal, pourvu que l’originalité prime.

C’est ainsi qu’il exposera ses œuvres et essais à de nombreuses reprises dans la région ou à l’extérieur, soit personnellement ou collectivement, parfois avec son épouse, Dominique Nappez, artiste elle aussi dans le domaine pictural. Ses thèmes de prédilection sont nombreux. On retiendra particulièrement ses sables et barrières, ses escaliers, ses sténopés (un trou dans un carton, par exemple, qui laissera passer la lumière), ses solarisations, ses triptyques, ses enrouleurs photographiques, traces, transferts, hologrammes, etc. Mais aussi des clichés de Delémont «vues d’une souris», réalisées au ras du sol ou des rétrospectives, soit un nombre impressionnant d’expérimentations réalisées avec humour en recherchant une nouvelle dynamique et des techniques inédites, réalisées en petits ou très grands formats. Il précise: «Pour mes sables et barrières, par exemple, j’ai pris plus de quatre mille photos. J’en ai trié et agrandi trois cents pour n’en retenir qu’une trentaine pour l’expo. J’ai employé un appareil Hasselblad avec un objectif 24 x 63 mm. Je les ai tirées sur toile au format 107 x 160 cm, ou 90 x 210 cm, entre autres».

Collection impressionnante

Nouss Carnal est bien entendu un passionné et il a durant ses plus de cinquante ans de métier vu évoluer les techniques et le matériel. Il a été un des premiers à vivre de l’intérieur le passage de l’argentique au numérique dans le début des années nonante. Il avoue que son approche a varié et que les paramètres ont changé avec les nouvelles technologies qui permettent de transformer les photos, ce qui n’était pas possible auparavant. Il a, au fil du temps, constitué une collection extraordinaire d’appareil photo de toutes marques dont quelques exemplaires remarquables, comme par exemple des premiers Polaroïds apparus sur le marché. La fille de l’inventeur Edwin Land, un scientifique américain, ne comprenait pas pourquoi il fallait toujours attendre après une prise vue. L’appareil à développement instantané était né, en 1947. Kodak voulut l’imiter, mais un procès imposa qu’on retire tous les appareils copiés. Nouss Carnal en a conservé une bonne partie! 

Sur ses étagères, des pièces classiques ou rares, de toutes marques tous formats tels les Leica, Hasselblad, Rolleiflex, Canon, Nikon et bien d’autres encore, ainsi que des boitiers qui ont disparus de la circulation ou n’existent plus, et aussi quelques appareils miniatures.

A signaler une magnifique chambre d’atelier Charles Cavalier de 1883 tout en bois, de format 23 x 23 cm! Il avait également commencé à collectionner diverses caméras, mais il les a cédées, faute de place, et n’en a conservé que quelques exemplaires exceptionnels.

Nouss Carnal verrait d’un bon œil que sa collection puisse être acquise par un connaisseur ou un musée afin qu’elle soit vraiment mise en valeur, et que tout amateur de photos ou curieux puisse bénéficier de ces appareils rares et historiques.

Claude Gigandet

Nouss Carnal devant sa collection d’appareils rares, tenant le premier Polaroïd datant de 1947. (photo cg)