Culture

Joli tour de Wyss sur la traque du siècle

Edition N°6 – 15 février 2023

Seul dans son combat contre l’Etat, Peter K. (Manfred Liechti) n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde. (photo ldd)

Au programme de ce 22e épisode de notre série cinéma, on s’intéresse à une œuvre bien ancrée dans notre région. Dans « Peter K. – Seul contre l’Etat », signé Laurent Wyss, le fameux forcené qui aura donné du fil à retordre à la police et angoissé la région biennoise débarque dans les salles pour conter son histoire comme jamais auparavant.

2010. Les forces de l’ordre investissent un quartier de Bienne pour prendre d’assaut une maison barricadée. L’habitant des lieux parvient à s’extirper de la bicoque et fait feu sur un policier. En dépit de sa maladresse et du surnombre de ses assaillants, le tireur en herbe parvient à s’échapper, déclenchant une chasse à l’homme qui marquera les esprits. Mais comment en est-on arrivé là ? Tout simplement parce que l’individu dont il est question, surnommé Peter K., est menacé de se faire expulser de sa maison peu de temps après le décès de sa mère. Se méfiant profondément de l’Etat, le Biennois n’a pas l’intention de se laisser faire, en dépit du fait qu’hormis sa tante en maison de retraite, il est seul contre tous. Les événements vont rapidement prendre une tournure chaotique. Mais sous l’apparence aigrie et apeurée de cet homme, ne se cacherait-il pas un passé lourd et dévastateur ? 

Portrait d’un parano 

Au-delà de solidement reconstituer la mésaventure de Peter K., le réalisateur Laurent Wyss explore ici les tréfonds d’un personnage énigmatique dont le public sait finalement peu de choses. Liberté artistique ou non, le forcené de Bienne se dévoile de façons parfois inattendues. Il est touchant lorsqu’il rend visite à la dernière personne qui compte à ses yeux, pathétique lorsqu’il est persuadé d’être espionné par des caméras de surveillance, hilarant lors de son propre jugement. Il en devient presque même intimidant lors des préparatifs à l’assaut de la police. Quelques scènes un poil abstraites explorant le passé de Peter K. viennent encore peaufiner l’ensemble, offrant suffisamment de possibilités pour cerner le personnage à l’arrivée du générique. Problème dans l’équation : à force d’en dire trop sur son protagoniste, le réalisateur finit par être complaisant. Le forcené de Bienne fait souvent trop pitié à voir malgré plusieurs scènes montrant que tout semble clocher chez lui. Un point de vue plus neutre aurait sans doute réglé l’affaire. 

Faire du grand avec du petit 

Mieux comprendre qui est Peter K. est passionnant, mais ce serait mentir si l’on prétendait que le principal attrait du film n’est pas la cavale occupant la moitié du récit. Rigoureusement mise en scène, elle débute avec le raid du Chemin Mon-Désir, étrangement palpitant, avant de se poursuivre dans les forêts et pâturages de la Montagne de Boujean. Le ton est d’abord très nerveux puis se calme peu à peu, le personnage étant toujours plus confronté à lui-même plutôt qu’aux autorités. Cette fuite inhabituelle est entrecoupée d’extraits tirés de reportages télévisés ayant couvert le cas de Peter K., un ajout qui a toute sa place dans le film. Tout cela exécuté avec un micro-budget qui ne se ressent pratiquement jamais. Laurent Wyss sait utiliser sa caméra et ne loupe aucune occasion de le montrer. Mais il faut tout de même ne pas oublier de rendre à César ce qui appartient à César : Manfred Liechti est magnifique dans son interprétation du forcené biennois. L’acteur montre ce qu’il a dans le ventre dans chaque scène et porte à lui seul le film. Bel effort de sa part, comme pour le réalisateur qui, après plusieurs années de développement, a accouché d’un petit film régional, solide et mémorable. 

Louis Bögli

« Peter K. – Seul contre l’Etat »
Réalisation : Laurent Wyss
Durée : 1 h 39
Pays : Suisse
Note : 4.5/5

 

4 questions à … Laurent Wyss, réalisateur de « Peter K. – Seul contre l’Etat » 

Laurent, d’où vous est venue l’envie de porter l’histoire de Peter K. sur le grand écran ? 

– Parce que son histoire est universelle : celle de David contre Goliath. Le petit individu qui se bat contre la grande machine de l’Etat. L’un des thèmes les plus importants de notre société. 

Le budget de votre long-métrage était de moins de 400’000 francs. Cela vous a-t-il compliqué la tâche pour le tournage ? 

– En fait, avec si peu d’argent, on ne peut pas tout tourner en un bloc. Les gens préparaient le film en parallèle de leur vie quotidienne. Le film a donc dû être tourné en trois fois. Mais le tournage n’a au final pas pris autant de temps que le financement. 

Après plus de cinq ans de production, qu’est-ce que cela vous fait d’enfin voir votre film projeté dans les salles de cinéma ? 

– Ça fait toujours bizarre. Personnellement ça me met mal à l’aise d’assister aux projections du film. J’ai assisté à la première « mondiale », mais c’est tout. Je trouve qu’en tant que réalisateur, une fois que ton film sort, c’est comme si tu le laisses partir. 

Le film est disponible en Romandie depuis le 8 février. L’accueil est-il aussi chaleureux qu’en Suisse alémanique ? 

– Jusqu’à présent, c’est très bon. Tous les spectateurs que j’ai rencontrés sont très positifs, que ce soit à La Neuveville, à Tramelan, à Genève ou à Sainte-Croix. J’en suis vraiment étonné.

(lb) 

Seul dans son combat contre l’Etat, Peter K. (Manfred Liechti) n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde. (photo ldd)