– Séverine, vous vous êtes lancée dans le canicross il y a environ vingt-quatre ans. Avec vos chiens, vous faites aussi du VTT et du traîneau, sur neige et sur sentier. Mais on n’entre pas dans ce domaine en claquant des doigts. Quelle est la genèse de votre parcours ?
– En ce temps-là, je faisais de l’équitation. Un jour, j’ai perdu mon cheval. J’aurais voulu m’en procurer un autre… mais je n’en avais pas les moyens. C’est là qu’un ami m’a fait découvrir le monde du canicross, c’est-à-dire la course à pied avec un chien. Même si je n’aimais pas du tout courir à l’époque, ce monde m’a fascinée d’emblée. Un jour, j’ai croisé le regard d’une malamute, une race de chien originaire de l’Alaska, et là, il y a eu un déclic. C’est un grand chien qui ressemble à un nounours, et j’ai craqué. J’ai pris un chiot, je l’ai formé et j’ai commencé à courir avec lui. Le malamute est puissant, mais il n’est pas particulièrement rapide. Moi si. (ndlr : elle rit) J’ai découvert que j’avais un bon niveau à la course à pied, alors il me fallait un chien plus rapide. J’ai choisi un chien de chasse croisé avec un lévrier, je l’ai formé et j’ai décroché pas mal de médailles avec lui, au niveau suisse et européen.
– Avec ces bons résultats, pourquoi avoir arrêté de courir ?
– Parce que j’ai eu des problèmes de santé. Les médecins m’ont interdit de faire de la course à pied. Alors je suis partie sur le VTT et le traîneau. Et j’ai acheté d’autres chiens. Je suis une fan des animaux.
– Vous dites que vous éduquez vous-même vos chiens. Vous avez suivi une formation en particulier ?
– Oh non, j’ai toujours travaillé au ressenti. A l’intuition. Je suis tellement passionnée, je prends très à cœur leur éducation. Et cette passion fait que je suis capable d’établir un lien très fort avec mes chiens, un lien d’amour. Sur la ligne de départ, mes chiens ne regardent pas ce qui se passe autour. La seule chose qui compte pour eux, c’est mon regard. C’est ça qui prime. C’est ça qui est beau. Ils n’attendent alors qu’une seule chose : c’est que je donne le « go ». Et là, c’est parti. C’est juste magique. Je n’ai pas besoin de leur parler, ils comprennent intuitivement ce que je veux. C’est cette complicité que j’essaye d’inculquer aux jeunes qui travaillent avec mes chiens, et qui participent avec moi à des compétitions en été.
– On dirait que lors d’une course, les résultats comptent moins pour vous que l’amour que vous partagez avec vos chiens…
– Les résultats comptent. Bien sûr. Mais le plus important, c’est ce lien d’amour qui subsiste entre mes chiens et moi.
– Et ce lien est d’autant plus fort lorsqu’on travaille avec son animal. Je songe aux sportifs de pointe, comme vous, ou aux forces de police, ou aux chasseurs…
– C’est sûr. D’autant plus que je vis constamment avec mes six chiens. Ils viennent avec moi au travail, je pars en vacances avec eux, ils sont tout le temps avec moi. L’entreprise pour laquelle je travaille m’a autorisée à faire un parc pour eux, là, à côté. Cette proximité, ce vécu partagé fait que la mort d’un chien est à chaque fois un traumatisme pour moi. Si on peut s’y préparer ? Je crois qu’on n’est jamais prêt pour le départ d’un chien, même s’il est âgé.
– Vous êtes sur le point de partir à Roros, en Norvège. Le défi est considérable, puisque vous allez affronter bon nombre de professionnels, qui s’entraînent avec leurs chiens de traîneau sur la neige depuis longtemps, alors que vous… Quels chiens iront avec vous ?
– Les six ! Si, si… Mais je concours avec seulement deux d’entre eux, Tyger et Tytan. Il y aura trois manches de cinq kilomètres chacune, sur trois jours. C’est donc du sprint. Je pars avec mon bus et ma caravane, et j’ai la chance d’être accompagnée par un ami, qui va conduire tout le long, ce qui m’évitera pas mal de stress. La route sera longue, nous mettrons deux jours pour arriver à destination, ce qui me laissera peu de temps pour la reconnaissance sur place et la récupération des chiens. Sans oublier qu’il faudra prendre le bateau. Tous les concurrents suisses se trouvent déjà là-bas, je serai la dernière à arriver. Enfin…, ce qui compte pour moi, c’est le plaisir de participer, la compétition sur la neige, ma préférée, et d’offrir à mes deux chiens un dernier mondial. Je les ai quand même bien entraînés, avec un kart (traîneau sur roues) pour la force – l’engin est plus lourd qu’un traîneau –, et avec un VTT pour la vitesse. Mais connaissant les gens qui vont participer à cette compétition mondiale, avec leurs jeunes chiens, tout ce que j’espère c’est de ne pas arriver à la dernière place. Non, je plaisante ! Plus sérieusement, si je décroche une place dans la première moitié, je serai déjà très contente. Je remercie d’ailleurs tous mes sponsors, et les personnes qui me soutiennent, sans lesquels je ne pourrais pas vivre ma passion. Propos recueillis par Pablo Davila

