Actualités, Culture

La vengeance selon les Vikings

Edition N°20 – 25 mai 2022

Amleth, un guerrier viking dont il vaut mieux ne pas en faire son ennemi. (photo ldd)

Dans le 11e épisode de notre série cinéma, nous naviguons sur un drakkar en direction d’une période lointaine où sang et sueur coulaient à flot. Et gare aux âmes sensibles : « The Northman » ne fera de cadeau à personne. 

En l’an 850 apr. J. -C. mieux vaut éviter l’Europe et ses bords de mer. Les Vikings, masses de muscles barbues et dépourvues de pitié, pillent les villages en masse et réduisent en esclavage leurs habitants. Parmi cette bande de barbares combat Amleth, un berserker (guerrier entrant dans une fureur sacrée) bâti comme un ours et manipulant sa hache et son épée avec une froideur perturbante. 

D’où peut bien provenir cet excès de violence ? Peut-être bien de l’enfance d’Amleth qui, encore innocent, assiste à l’assassinat de son roi de père par les mains de son oncle Fjölnir. 

Contraint de fuir le royaume qui lui revenait de droit, Amleth quitte l’Islande en jurant d’un jour tuer le traître et de délivrer sa mère faite prisonnière. Bien des années plus tard, celui qui est entretemps devenu un redoutable Viking se rappelle de sa promesse et retourne en Islande pour exécuter sa vengeance. Aidé par Olga, une blonde mystérieuse, Amleth va faire vivre un enfer à son oncle et ainsi accomplir une destinée sanglante. 

Triomphe visuel et historique 

La première chose qui sautera aux yeux des spectateurs en visionnant « The Northman », c’est la beauté indiscutable de ses images. 

Le réalisateur Robert Eggers filme avec brio des paysages spectaculaires dont il parvient à tirer de véritables tableaux. Au travers d’une ambiance brumeuse et poissarde, les personnages rôdent, s’entretuent et s’inquiètent de présences mystiques, fruits des croyances ésotériques de l’époque. L’image n’est que renforcée par la splendide reconstitution de ce qu’était l’ère des Vikings. 

Les villages en bois et en paille débordent de réalisme tandis que les costumes renforcent la crédibilité des acteurs qui sont ici tous excellents. 

Fini les guerriers affublés du casque à cornes cliché, ceux de « The Northman » se veulent le plus réaliste possible et donnent à cette œuvre épique une vraie plus-value historique. Mais autant le film se veut réaliste, autant lorgne-t-il volontiers du côté du fantastique. Les mythes nordiques semblent de temps à autre prendre vie à l’écran, parfois de manière spectaculaire, parfois de manière franchement glauque. Chorale de renards arctiques, guerrier mort-vivant, épée légendaire : où est donc la limite du réel ? Libre aux spectateurs d’en décider. 

Brutalité à l’état pur 

Aussi poétique et mystique qu’il soit, « The Northman » reste une œuvre à ne pas mettre entre toutes les mains. Le film fait souvent preuve d’une brutalité phénoménale, la vengeance du héros ne pouvant se résoudre par de simples farces. Les méchants sont ainsi nombreux à se faire transpercer et tailler en pièces par le fer de l’épée. Et la caméra ne se gêne jamais de montrer le spectacle sanglant. Mais la violence a parfaitement sa place dans le film qui dépeint une ère de barbarie et d’atrocités humaines. Un phénomène pas seulement limité à la guerre et au pillage puisque « The Northman » s’amuse même à nous montrer une partie de knattleikr, un ancien jeu de balle dont la brutalité ridiculise tous nos sports actuels. C’est pourtant de toute cette violence mêlée à une ambiance léchée que le film tire toute sa puissance. Bien au-delà de la plupart des blockbusters aseptisés que propose Hollywood actuellement, l’œuvre réussit l’exploit de faire vivre au spectateur une incroyable expérience dégoulinante de testostérone et d’hémoglobine tout en conservant un côté étrangement tendre. Le grand méchant apprend l’humilité à son jeune fils en coupant du bois avec lui tandis que le héros laisse de côté sa sauvagerie pour passer des purs moments de tendresse avec l’élue de son cœur. Au final, c’est peut-être ça l’immense réussite de « The Northman » : conter un récit dantesque et violent mais au fond profondément humain. 

Louis Bögli

« The Northman »
Réalisation : Robert Eggers
Durée : 2 h 17
Pays : USA
Note : 4.5/5

 

3 questions à …

Mourad Allaf, Coresponsable de la programmation du Cinéma Palace à Bévilard 

Pourquoi diffuser dans votre salle un film d’auteur violent comme « The Northman » ? Pour nous, c’est surtout une œuvre à double tranchant. C’est un film à grand spectacle mais aussi d’auteur, à mi-chemin entre Shakespeare et Conan le Barbare. On s’est donc dit pourquoi ne pas tenter l’aventure. D’autant plus que l’univers des Vikings est revenu sur le devant de la scène ces dernières années grâce à des séries et des jeux vidéo sur ce thème. 

Est-ce que ce regain d’intérêt pour les Vikings a été observé au cinéma Palace ? L’exploitation est plutôt mitigée. Mais peut-être s’agit-il d’un film qui pourrait fonctionner sur la durée, le temps qu’il résonne un peu dans nos contrées. Dans le doute, il sera encore diffusé le 29 mai. 

« The Northman » est en quelque sorte un péplum comme « Gladiator », un genre de film qu’on ne voit plus vraiment de nos jours. Ces œuvres auraient-elles fait leur temps ?  Je pense qu’elles ont toujours leur place dans le monde du cinéma. Ces films remettent un peu en question l’actualité tout en prenant des thèmes du passé. Cela permet d’avoir une vision miroir sur notre société tout en rappelant des périodes qu’on aurait tendance à oublier. L’existence des péplums reste donc importante et j’espère qu’il y en aura encore passablement. (lb)

Amleth, un guerrier viking dont il vaut mieux ne pas en faire son ennemi. (photo ldd)