Actualités, Culture

L’amour est dans le poêle

Edition N° 43 – 22 novembre 2023

Dodin et Eugénie partagent une passion encore plus grande que la cuisine. (photo ldd)

France, 1885. Le gastronome Dodin prépare et invente de savoureux mets dans sa cuisine d’époque, bien entouré par ses cuisinières et ses amis épicuriens. Sa renommée est telle qu’il attire une clientèle étrangère et prestigieuse. Justement, un prince compte sur lui pour cuisiner le menu d’un immense banquet qu’il organise. Mais Dodin a d’autres plans : le plat principal se doit d’être un pot-au-feu, le meilleur. 

Le maître se met à l’œuvre, assisté par la fidèle Eugénie qu’il aime autant que la cuisine, pour ne pas dire plus. Entre deux vol-au-vent et omelettes norvégiennes, Dodin n’a de cesse de vouloir sa cuisinière à ses côtés, en tant que femme, chose qu’elle lui a toujours refusé. Cette étrange relation romantique prend une nouvelle tournure lorsqu’Eugénie tombe gravement malade. Ce ne sont alors pas que de nouvelles saveurs que le gastronome va explorer, mais un amour bien particulier, alliant cuisine et sentiments. 

Les petits plats dans l’écran 

Adapté d’un roman suisse de 1924, ce film est aussi délicieux à regarder qu’à digérer, devant principalement sa réussite au travail minutieux de Trần Anh Hùng.

Le réalisateur franco-vietnamien ne se contente pas de simplement filmer de la bonne cuisine, mais construit toute son œuvre autour. Rares sont les scènes où les protagonistes ne sont pas derrière les fourneaux ou autour d’une table. Les discussions ne concernent souvent guère plus que le menu du prochain repas. Ici la nourriture est reine, et le réalisateur sait comment la filmer. Les légumes et autres produits sont récoltés dans une magnifique ambiance matinale avant d’être déposés dans un décor de cuisine lumineux. Les gros plans sur les ingrédients s’enchaînent alors, plus appétissants les uns que les autres, avec des mains adroites travaillant avec passion les futurs plats. Puis s’ajoute l’accompagnement de choix : l’incroyable ambiance sonore. Le film fait la part belle aux sons plutôt qu’à la musique, préférant le crépitement du lard à la composition pompeuse. Enfin, tout se conclut à table où les choses sont savourées à leur juste valeur. Traverse alors l’envie de rejoindre les protagonistes pour prendre part au festin. Car oui, mieux vaut entamer le visionnage avec le ventre plein, sinon le long-métrage risque de mettre à mal tant les images s’avèrent appétissantes. Ironiquement, ce n’est pas tant de cuisine que veut parler « La Passion de Dodin Bouffant », celle-ci servant plutôt de prétexte à quelque chose de plus grand et de plus fort. 

Le goût des sentiments

Plus qu’une histoire gastronomique, c’est un récit romantique que conte Trần Anh Hùng. La relation si particulière entre Dodin et Eugénie surprend. Elle décolle même lorsque le cuisinier sert entrée-plat-dessert à sa belle, créant une métaphore de l’amour que voue un individu à un autre. Ce n’est probablement pas non plus un hasard que les réactions des personnages lorsqu’ils goûtent à un repas lorgnent du côté de l’orgasme. Tout n’est pas toujours traité avec subtilité, mais le réalisateur se rattrape en sortant parfois du cadre de la cuisine. Il filme son couple dans des décors naturels somptueusement éclairés, se rapprochant parfois de tableaux de Monet tant dans la composition que dans les couleurs. 

L’ensemble s’avère très joli à regarder mais est un peu ennuyeux. Le film est relativement long, et ce ne sont ni les péripéties amoureuses ni la quête du pot-au-feu ultime qui feront que les minutes passent plus vite. C’est sans compter sur le contexte du long-métrage qui reste très flou, surtout concernant ce cher Dodin dont on ne sait finalement pas grand-chose. Même si la clarté n’y est pas, les interprétations de Benoît Magimel et Juliette Binoche contrebalancent aisément, livrant d’ailleurs un ultime dialogue profondément émouvant et déchirant. De quoi se dire que les quelques passages à vide en valaient la peine. L’expérience culinaire et cinématographique laisse repu. 

Louis Bögli 

« La Passion de Dodin
Bouffant »
Réalisation : Trần Anh Hùng
Durée : 2 h 14
Pays : France, Belgique
Note : 4/5 

 

Le saviez-vous ?

Place aux pros

C’est le chef triplement étoilé Pierre Gagnaire qui est le consultant gastronomique du film, le réalisateur ayant voulu collaborer avec lui après avoir goûté à, comme par hasard, son pot-au-feu. L’un a donc élaboré un menu spécialement pour le long-métrage tandis que l’autre en a suivi sa préparation durant une semaine pour décider comment le mettre en image. Ce ne sont d’ailleurs pas toujours les mains de Juliette Binoche et Benoît Magimel qui œuvrent sur le plan de travail, mais des cuisiniers professionnels, si bien que le tournage s’est par moment avéré long pour les acteurs.

(lb)  

 

 

Dodin et Eugénie partagent une passion encore plus grande que la cuisine. (photo ldd)