Culture

Place à un duo estival improbable

Edition N°29 – 16 août 2023

Oppenheimer et Barbie: deux salles, deux ambiances. (photo ldd)

Une chose est déjà certaine : en termes de succès, les deux œuvres ont tout détruit sur leur passage depuis leur sortie le 19 juillet. Mais l’un d’eux a bien tenté de littéralement tout détruire, à savoir « Oppenheimer ». Ce biopic raconte une tranche de vie, ou plutôt l’ascension et la chute du tristement célèbre physicien. Alors encore sur les bancs d’études, le jeune Robert Oppenheimer est déjà obsédé par le monde atomique qui lui collera à la peau durant toute sa carrière. Cette dernière prend une tournure particulière lorsque l’armée américaine charge le physicien de prendre la tête du projet Manhattan, qui n’est autre que la bombe atomique. Tout ne sera évidemment pas rose dans la suite des événements. 

A l’inverse, le film « Barbie » ne manque, lui, guère de rose. Basée sur l’ultra populaire poupée de la marque Mattel, l’histoire se concentre sur Barbie stéréotypée menant une vie de rêve à Barbieland en compagnie d’autres Barbies et des Kens. Mais le rêve s’effrite un beau matin lorsque la belle a soudainement des pensées morbides et découvre avec horreur que ses pieds sont devenus plats. Barbie stéréotypée n’a pas le choix : elle doit se rendre dans notre monde pour comprendre ce qui lui arrive. Mais c’était sans compter sur Ken qui insiste à l’accompagner sans imaginer que ses actions pourraient transformer Barbieland à tout jamais. 

Portrait d’un créateur 

Même si elle est au centre de l’intrigue, la bombe atomique n’est pas la principale intéressée d’« Oppenheimer », mais plutôt son inventeur. Le film dépeint un portrait sombre d’un individu énigmatique, d’abord torturé par le savoir puis par la culpabilité. Parce que même si le réalisateur Christopher Nolan s’est amusé à reproduire à échelle réduite une explosion atomique pour renforcer le côté réaliste, son œuvre ne cherche pas le spectaculaire mais plutôt l’humain, faillible et perverti. Incarné par un Cillian Murphy au sommet de son art, Robert Oppenheimer est initialement excité à l’idée de créer l’arme ultime, avant de finir sur une pente descendante en s’apercevant des conséquences de ses actes : des milliers de morts et l’invention d’une technologie à réduire le monde en cendre et à faire frémir Einstein en personne. Un retour à la réalité illustré par de longues scènes d’interrogatoire, oscillant entre le passé et le présent, se mélangeant aux moments théoriques, le tout sans jamais être ennuyeux malgré les trois heures de film. L’ensemble s’avère parfois indigeste, mais la magnifique réalisation, la musique tonitruante, la ribambelle d’acteurs phénoménaux et l’excitation de voir un moment charnière apparaître sous nos yeux, compensent aisément. « Oppenheimer » n’est pas qu’un simple biopic, c’est une œuvre puissante, spectaculaire. Un mastodonte qui crache des étincelles dans les yeux et frappe dans le ventre. Un pur moment taillé pour le cinéma. Une vraie bombe, ironiquement. 

Portrait d’une société 

Nettement moins nihiliste, « Barbie » n’échappe néanmoins pas aux thématiques sérieuses. Sous ses faux airs de licence populaire adaptée au cinéma, le film s’interroge sur la place actuelle de la femme dans la société et de l’impact du patriarcat. Pas vraiment ce à quoi l’on aurait pu s’attendre venant d’une histoire de poupées. Mais la réalisatrice Greta Gerwig arrive justement à tirer son épingle du jeu en traitant ces thèmes avec humour et malice. Elle filme un monde d’apparence réel mais pourtant complètement délirant, en particulier dans les bureaux de l’entreprise Mattel, dont le PDG tente maladroitement de faire retourner la Barbie rebelle dans son emballage d’origine. Tout cela pendant qu’un Ken incarné par un Ryan Gosling hilarant parcourt la ville et découvre avec émerveillement le pouvoir qu’ont pris les hommes dans la société. 

Le message du film est relativement clair, et malheureusement beaucoup trop tape-à-l’œil, perdant de sa force. Mais en faire des caisses est au final la ligne directrice du long-métrage, surtout dans l’univers de Barbieland où tous les excès visuels sont permis. 

Les personnages évoluent dans des décors faits de maisons de poupée sans murs et de piscines dont l’eau n’est qu’une image imprimée sur le sol. Le délire d’un monde de jouets est totalement assumé et fonctionne à merveille, parvenant à surprendre et faire rire à chaque fois. Menée par l’actrice Margot Robbie qui irradie l’écran, cette comédie s’avère très sympathique, générant quelques bons ricanements et une morale pas bête. A savourer sans prise de tête, même si l’on n’a jamais touché à une poupée Barbie de sa vie. 

Louis Bögli

« Oppenheimer »
Réalisation : Christopher Nolan
Durée : 3 h
Pays : USA, Royaume-Uni
Note : 5/5 

« Barbie »
Réalisation : Greta Gerwig
Durée : 1 h 56
Pays : USA
Note : 4/5 

 

Le saviez-vous ?

Alliage loufoque
L’attente pour ces deux blockbusters estivaux et leurs dates de sorties identiques ont généré un phénomène particulier sur internet : « Barbenheimer », contraction peu recherchée de « Barbie » et « Oppenheimer ». Cet alliage loufoque a donné naissance à de nombreux gags visuels et fausses bandes-annonces mélangeant les univers des deux films. Le délire est arrivé au point où des personnes tout de rose vêtues sont allées voir « Barbie » au cinéma avant de se rendre aussitôt après à la projection d’ « Oppenheimer ». Un phénomène absurde ? Pas vraiment, du moins pas pour les studios derrière les films concernés. En effet le père de la bombe atomique a déjà rapporté plus de cinq cent millions de dollars au box-office mondial tandis que la joyeuse blonde a pris par surprise en dépassant la barre du milliard.

(lb) 

 

Oppenheimer et Barbie: deux salles, deux ambiances. (photo ldd)