Portraits

Retraite bien méritée pour Edith et Willi

Edition N°22 - 4 juin 2020

Une page se tourne pour Willi et Edith ici avec le gardien du lieu, Diego. (photo oo)

Le Chaluet, qu’est-ce donc? Un lieu-dit, un restaurant de campagne, un itinéraire, reliant le canton de Soleure, au creux d’un val où coule une rivière et que l’on parcoure de préférence à pied ou à vélo… Le Chaluet, dont je vais vous conter l’histoire, c’est le restaurant d’Edith et Willi Wernli, arrivés de leur Argovie natale voici 35 ans.

Récemment, par une annonce parue dans votre hebdo favori, ce couple d’aubergistes-agriculteurs remerciait sa fidèle clientèle et expliquait, qu’au terme du confinement, leur commerce fermait définitivement. Un petit tour d’horizon s’impose.

Dans les années 1980, la famille Wernli habitait la commune de Freienwil dans le district de Baden (AG). Willi travaillait en qualité de cuisinier chez Swissair à Kloten. A cette époque, on ne parlait pas de catering et il fallait préparer tous les plateaux-repas pour les passagers. Il existait donc quatre horaires de travail afin de couvrir toutes les destinations en Europe mais aussi les Amériques, l’Afrique, le Moyen et Extrême-Orient. C’était un travail fastidieux et les heures de travail irrégulières étaient dommageables pour la santé. En 1984, la famille décida d’opter pour une vie nouvelle. Dans la revue d’agriculture die Grüne, une propriété était à vendre dans le Jura bernois. Quand Edith évoque sa première visite au restaurant Le Chaluet, elle se remémore son coup de foudre immédiat pour ce site enchanteur au milieu d’une riche nature très préservée. En fin d’année, le couple déménage accompagné de leurs deux filles Daniela et Francisca, âgées alors de 10 et 4 ans. L’hiver 1984-1985 sera long et glacial avec des températures atteignant -28°. A Court, on atteindra -30° et lors de l’incendie de l’Hôtel de l’Ours, l’eau gèlera dans les conduites des pompiers.

Arrangements floraux dévorés par les chèvres

Les défis à relever seront nombreux à commencer par l’obtention du certificat de capacité de cafetier-restaurateur. Dès lors, la vie de restaurateur-agriculteur s’organise avec Willi aux fourneaux et Edith en salle. En plus, il y a les soins quotidiens à apporter au bétail et à la basse-cour car le domaine se veut auto-suffisant avec les denrées de base produites à la ferme. On comptera ainsi jusqu’à 10 vaches, des moutons et des porcs. Les chèvres malignes et gourmandes seront rapidement proscrites en raison de leur tendance à dévorer les arrangements floraux d’Edith aux abords du restaurant! La basse-cour fournira les œufs et les poulets. Le lait produit ne sera jamais revendu mais servira à la confection de pâtisseries, aux besoins de la famille et à l’alimentation des veaux. Aujourd’hui, le bétail est entre les mains d’un jeune paysan qui a repris l’exploitation de la ferme.

Des souvenirs plein la tête

J’ai demandé à visiter le restaurant où l’on pouvait servir jusqu’à 60 personnes. Un pesant silence y règne désormais alors que, sur les tables, la vaisselle, les casseroles, le matériel de cuisine est regroupé par lots à vendre, dont beaucoup sont déjà réservés. La carte des mets et des vins est celle d’un restaurant campagnard et Edith m’explique qu’elle a été réduite ces trois dernières années. La liste des vins est parfaite avec notamment des Bordeaux grands crus classés à prix très doux. Mais il reste pour le couple beaucoup de souvenirs notamment durant les soirs d’été où l’on servait sur la terrasse jusqu’à 90 couverts. Outre la clientèle locale, on venait des cantons voisins de Bâle et de Soleure mais aussi des antipodes avec des clients fidèles revenant chaque été du Canada, d’Israël, des Etats-Unis d’Amérique et d’Australie. C’est ici, le samedi 31 mars 1990, qu’eut lieu la séance officielle constitutive de l’Olga Club dont Edith devint la marraine. Aujourd’hui, sur la terrasse, je consulte mes notes en compagnie des patrons et de leur fidèle compagnon Diego, 7 ans, un heureux croisement entre Bouvier bernois et Labrador, inséparable de son petit ballon orangé. Ici au Chaluet, la clameur des convives a désormais laissé place au bourdonnement des insectes, aux chants des oiseaux. Quand on demande à Edith et Willi s’ils nourrissent des regrets, leur réponse fuse: «Sans confinement, nous avions déjà décidé de cesser nos activités à fin 2020», expliquent-ils. Bien sûr, pour eux, c’est un pincement au cœur mais surtout des souvenirs plein la tête pour leur vie future de jeunes retraités.

Pierre Chevrier

Une page se tourne pour Willi et Edith ici avec le gardien du lieu, Diego. (photo oo)